La genèse

Se faisant l’écho des rapports Viénot I et II, respectivement de 1995 et 1999, et s’inspirant directement des pratiques anglo-américaines, en particulier britannique (le Rapport Cadbury préconisait la création de ce type de comité en 1992), une pratique s'était développée dans les sociétés cotées tendant à instituer des comités d'audit (ou « comités des comptes ») pour la surveillance des risques et le contrôle de l'information financière. Le comité d'audit recevait son mandat du conseil d'administration ou de surveillance et comptait parmi ses membres un ou plusieurs administrateurs ou membres du conseil de surveillance compétents en matière comptable et financière. Il avait notamment pour mission d'examiner les comptes soumis au conseil d'administration, d'évaluer la qualité du contrôle interne, de s'assurer de l'indépendance et de l'objectivité des commissaires aux comptes appartenant à des réseaux et de fixer le programme de travail des commissaires aux comptes et le budget correspondant. Les articles R 225-29 et R 225-56 du C. com. prévoient que le conseil d'administration ou de surveillance des sociétés anonymes peuvent décider de créer des comités ou commissions (dits comités d’étude) chargés d'étudier certaines questions et dont le conseil d'administration ou de surveillance fixe la composition et les attributions. Directement dépendant du conseil d’administration ou de surveillance, il ne s’agissait que d’une émanation de ces organes sans que l’on puisse les considérer comme des organes indépendants ce qui ne correspond pas exactement à la conception des comités d’audit tels que l’on peut les rencontrer dans les structures anglo-américaines. La directive 2006/43/CE du 17 mai 2006, dite directive « Audit », (art. 41.1) préconise la création d'un comité d'audit dans toutes les entités d'intérêt public (E.I.P.), qui sont qualifiées ainsi en raison de leur domaine d'activité, de leur taille, de leurs effectifs ou dont le statut juridique fait qu'elles possèdent un large éventail d'actionnaires (pour une étude de cette directive voir notre chronique, JCP éd. E, 11 octobre 2007, n°41). La directive inclut expressément dans cette catégorie les sociétés dont les valeurs mobilières sont admises aux négociations sur un marché réglementé, les banques, les institutions financières, les entreprises d'assurance et des entités de taille importante dont la définition est laissée à l'appréciation des États membres. Les E.I.P. doivent faire l'objet de règles d'indépendance plus rigoureuses en raison du caractère sensible de leur activité et de ses implications pour le public, soulignant ainsi, et de nouveau, une tendance du droit des sociétés vers la création d’un droit des sociétés spécifique aux sociétés cotées. L'ordonnance 2008-1278 du 8-12-2008 (JO 9 p. 18720) (art. 13 à 18) consacre l'existence du comité d'audit dit « comité spécialisé » qui sera chargé, au sein des sociétés contrôlées, sous la responsabilité exclusive et collective de leur conseil d'administration ou de leur directoire et de leur conseil de surveillance, d'assurer le suivi des questions relatives à l'élaboration et au contrôle de l'information comptable et financière (C. com. art. L 823-19, al. 1 nouveau ; Ord. 2008-1278 art. 14). Le comité spécialisé sera obligatoire dans les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, les établissements de crédit, les entreprises d'assurances et de réassurances, les mutuelles et les institutions de prévoyance (C. com. art. L 823-19, al. 1 nouveau ; Ord. 2008-1278 art. 14). D'autres sociétés ne répondant pas à ces critères pourront se doter d'un tel comité sur une base volontaire (C. com. art. L 823-16 modifié ; Ord. 2008-1278 art. 13).

La reconnaissance juridique de la notion d’administrateur indépendant : le seul point intéressant.- La composition du comité spécialisé sera fixée par le conseil d'administration ou de surveillance de la société contrôlée. Ses membres devront être des membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance en fonction dans la société, à l'exclusion de ceux exerçant des fonctions de direction. Selon l’appellation anglo-américaine, il s’agira donc de «non-executive directors» L'un des membres au moins du comité devra être qualifié en matière financière ou comptable et être indépendant suivant des critères précisés et rendus publics par le conseil d'administration ou de surveillance (C. com. art. L 823-19, al. 2 nouveau ; Ord. 2008-1278 art. 14). Est donc introduite en droit français la notion d’administrateur indépendant, même si ce type d’administrateur est depuis longtemps présent en pratique au sein des conseil d’administration des sociétés (86% des sociétés dont les actes sont admis aux négociations sur Euronext Paris ont un comité d’audit et ce pourcentage monte à 96% pour les sociétés cotées sur Euronext A (AMF, Rapport 2008)) et qu’il est évoqué par divers rapport dont celui résultant de la consolidation des rapports de l'AFEP et du MEDEF de 1995 (dit « Vienot I »), 1999 (dit « Viénot II ») et 2002 (dit « Bouton »).

Première critique : une absence de pouvoirs réels et indépendants.

Ce comité sera chargé d'assurer le suivi (C. com. art. L 823-19, al. 3 nouveau ; Ord. 2008-1278 art. 14) : - du processus d'élaboration de l'information financière ; - de l'efficacité des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques ; - du contrôle légal des comptes annuels et, le cas échéant, des comptes consolidés par les commissaires aux comptes ; - de l'indépendance des commissaires aux comptes. En outre, il est chargé d’émettre une recommandation relative à la nomination des commissaires aux comptes. De plus, dans le cadre des missions du comité d’audit, le commissaire au comptes occupe une place, bien évidemment, importante. Les commissaires aux comptes doivent porter un certain nombre d’éléments à la connaissance du comité d’audit (C. com. L 823-16 modifié). Sont visés : leur programme de travail, les modifications qui leur paraissent devoir être apportées aux comptes, les irrégularités et les inexactitudes qu’ils auraient découvertes, les conclusions auxquelles conduisent les observations et rectifications sur les résultats de la période comparés à ceux de la période précédente, les faiblesses significatives du contrôle interne, les risques pesant sur leur indépendance et les mesures de sauvegarde prises pour atténuer ces risques. Ils devront en outre communiquer chaque année au comité : - une déclaration d'indépendance ; - une actualisation des informations relatives à l'affiliation du commissaire aux comptes à un réseau national ou international, détaillant les prestations fournies par ses membres et celles accomplies au titre des diligences directement liées à la mission (C. com. art. L 823-16 modifié ; Ord. 2008-1278 art. 13).

Les prérogatives du comité d’audit, ainsi définies, ne nous permettent pas de dire qu’il possède de pouvoirs réels. Il doit rendre compte à l’organe collégial chargé de l’administration ou à l’organe de surveillance. Il ne peut pas par lui-même prendre de décision. Cette absence de pouvoir indépendant réduit considérablement l’intérêt de l’introduction d’un tel comité. Il aurait été intéressant que ce comité ait au moins le pouvoir d’informer l’assemblée générale des actionnaires, que lui soit accordé le pouvoir de convoquer une telle assemblée dès lors que des événements importants le justifient, qu’il ait des pouvoirs d’investigation autonome. Avec de telles prérogatives le comité d’audit ne se différencie guère du comité d’étude. L’innovation est plus que modeste.

Deuxième critique : des exceptions contestables.

Des exceptions sont prévues pour certaines entités d'intérêt public, afin de tenir compte des contraintes particulières à celles-ci ou de la nature de leur activité (Ord. 2008-1278 art. 14 à 18). Elles visent (C. com. art. L 823-20 nouveau ; Ord. 2008-1278 art. 14) : - les sociétés contrôlées par une société (C. com. art. L 233-16 ; contrôle exclusif ou conjoint) qui est elle-même soumise à l'obligation de disposer d'un comité spécialisé ; - les organismes de placement collectif de l'article L 214-1 du C. mon. fin.. Il s'agit des organismes de placement collectif en valeurs mobilières, des organismes de titrisation, des sociétés d'épargne forestière et des organismes de placement collectif immobilier. - les établissements de crédit dont les titres ne sont pas admis à la négociation sur un marché réglementé et qui n'ont émis que des obligations, à condition que le montant total nominal de ces titres reste inférieur à cent millions d'euros et qu'ils n'aient pas publié de prospectus ;

- les personnes et sociétés disposant d'un organe remplissant les fonctions du comité spécialisé, qui peut être le conseil d'administration ou de surveillance, sous réserve de l'identifier et de rendre publique sa composition.

Cette dernière exception nous paraît la plus critiquable car elle favorise le statu quo, en permettant le maintien des anciennes pratiques, qui n’étaient pas entièrement satisfaisantes. Cela nous paraît d’autant plus dommageable que selon l’AMF 72% des sociétés dont les actes sont admis aux négociations sur Euronext Paris ont un comité d’audit et ce pourcentage monte à 98% pour les sociétés cotées sur Euronext A et à 100% pour celles du CAC 40 (AMF, Rapport annuel 2008). La première exception nous paraît également critiquable. Cette dérogation trouve à s'appliquer même si la société contrôlée est elle-même une société cotée sur un marché réglementé. C'est ce que confirme le comité juridique de l'Association nationale des sociétés par actions (Ansa, comité juridique, réponse 09-003 du 7 janvier 2009). Le comité d’audit a pour objectif général d’éviter des fraudes, ou du moins de garantir une certaine qualité de l’information financière diffusée par l’entité. On a du mal à comprendre pourquoi une société cotée, du fait qu’elle soit contrôlée par une société qui est elle-même soumise à l’obligation de disposer d’un comité d’audit, est exclue de cette obligation. On voit mal en quoi l’existence d’un tel comité chez la mère permet de garantir la qualité de l’information chez la fille.

Un délai d’entrée en vigueur bien compliqué.

L'ensemble des dispositions relatives au comité d’audit entreront en vigueur à l'expiration « d'un délai de huit mois qui suivra la clôture du premier exercice ouvert à compter du 1er janvier 2008 au cours duquel un mandat au sein du conseil d'administration ou de surveillance viendra à échéance » (Ord. 2008-1278 art. 21). Il résulte de ce texte, pris à la lettre, que dans une société à conseil d'administration dont l'exercice coïncide avec l'année civile et dans laquelle le prochain mandat parviendra à échéance le 13 mai 2009 (aucun mandat n'ayant pris fin en 2008), le comité devra être constitué au plus tard le 30 septembre 2010. Ajoutons que l'ordonnance ne vise que « l'échéance » du mandat, c'est-à-dire le terme, si bien que la démission, la révocation et le décès d'un administrateur n'ont pas à être pris en compte (en ce sens : Ansa, comité juridique, réponse 09-003 du 7 janvier 2009).

JLN