La problématique sur la rémunération des dirigeants des grandes sociétés, et notamment françaises, s'est aujourd'hui déportée d'un problème économique à un problème éthique. Face à cette difficulté constamment croissante, exacerbée par le contexte de crise économique qui a conduit à une mise sous les projecteurs de certains abus, c'est au sein des principes de bonne gouvernance que la solution a semblé apparaître. Il convient de rappeler que ce n'est pas le principe même de la rémunération des grands patrons qui pose problème, elle n'est, bien souvent, que la juste rétribution d'un travail effectué pour la société. Elle est bien acquise. L’attention s'est davantage portée ces dernières années sur la rémunération variable – un mode de rémunération sous forme de primes qui, comme chaque salarié peut l'expérimenter, sont attribuées en fonction de l'atteinte ou du dépassement d'objectifs de performance fixés au préalable. Or, c'est lorsque le contexte économique devient plus difficile que se révèle une décorrélation entre des rémunérations des grands patrons, qui stagnent voire augmentent, et des résultats d'entreprises qui chutent, avec les licenciements qui les accompagnent. Il découle alors de ce phénomène un sentiment d'injustice, d'inégalité voire d'immoralité dans l'opinion publique qui jette une suspicion sur l'ensemble de la classe dirigeante et qui fait ainsi passer la question de la rémunération patronale d'un problème structurel d'équilibre des entreprises à un problème politique de perception des équilibres de la société.

Bien mal acquis ne devait plus profiter.

Ainsi, à la fois les organismes professionnels et le législateur français sont intervenus, à travers une alternance rythmée de soft law (autorégulation) et de hard law (dispositions législatives impératives). Ces interventions ont sensiblement amélioré le droit d’information des actionnaires et moraliser les pratiques de la vie des affaires, guidant les entreprises, surtout cotées, sur le chemin de la bonne gouvernance. Pour aller vite sur ces points connus de tous, on peut citer trois rapports : le rapport Viénot I, le rapport Marini et enfin le rapport Viénot II. Tous recommandent que les sociétés, sur la base du volontariat, rendent transparentes les éléments de leur rémunération. S’inspirant de ces différents rapports, le législateur est intervenu par la loi NRE du 15 mai 2001. Celle-ci a, on peut le dire, révolutionné l'information sur les rémunérations en imposant une transparence et une publicité de celles-ci afin d’améliorer l’information des actionnaires, jusque là négligée. Le législateur a prolongé son effort de transparence, d’encadrement et de publicité concernant les rémunérations des dirigeants avec plusieurs lois qui se sont égrainées à un rythme soutenu sur cinq années : la loi du 1 er août 2003, la loi du 26 juillet 2005, loi du 30 décembre 2006, la loi TEPA du 21 août 2007 et la loi du 3 décembre 2008.

Les parachutes dorés ont tout particulièrement retenu l’attention du législateur en les soumettant à la procédure des conventions réglementées et en subordonnant leur versement à des critères de performances de l’entreprise. Sont désormais interdits les éléments de rémunérations pour lesquels le bénéficiaire ne serait pas subordonné au respect de conditions liées à ses performances, performances qui seront appréciées au regard de celles de la société. Les parachutes dorés ne sont pas les seuls éléments de rémunération qui ont fait l’objet d’une intervention législative. Le législateur est intervenu à deux reprises (loi du 30 décembre 2006 et loi du 3 décembre 2008) afin de conditionner l’attribution de stock-options aux dirigeants par la distribution corrélative de stock-options, d’actions gratuites ou encore de primes d’intéressement ou de participation à l’ensemble des salariés de l’entreprise, afin de développer l' « actionnariat salarié », les salariés pouvant désormais participer, aux côtés de leurs dirigeants, aux performances de la société.

Incontestablement, en l’espace de quelques années et grâce à l’intervention législative, on a vu apparaître une « démocratie actionnariale ». En effet, l’information de l’actionnaire étant plus importante, il peut désormais faire valoir ses droits et devoirs. Il peut se défendre, le transformant, pour reprendre une expression connue, en véritable « soldat du droit » (Ihering, L’esprit du droit romain). On peut alors lui reconnaître quelques faits d’armes. Ainsi, l’obligation pour les entreprises de rendre publiques leurs décisions d’accorder des parachutes dorés à leurs dirigeants a poussé certains d’entre eux à renoncer à ces primes sous la pression des salariés mais aussi (et peut-être surtout) de la presse (exemple : l'ex P-DG d'Alstom a renoncé à sa prime de 4 millions d'euros). Malgré cela, certains dirigeants peu consciencieux ont tout de même perçus leurs parachutes dorés alors même que leur entreprise était en crise (exemple : les anciens patrons d'Alcatel-Lucent, Serge Tchuruk et Patricia Russo qui ont touché à eux deux 11,6 millions d'euros).

Mais hélas, bien mal acquis profitait toujours.

Ainsi, les scandales continuèrent à émouvoir l’opinion publique et donc, par ricochet, les hommes politiques. Il est vrai que la crise était passée par là. Il fallait réagir. Lors de son discours de Toulon du 25 septembre 2008, le Président de la République Nicolas Sarkozy invitait fermement les organismes professionnels à réagir. Le MEDEF et l’AFEP, ayant de toute évidence entendu le message, présentaient, le 6 octobre 2008, devant un parterre de journalistes, une série de recommandations : - mettre un terme au contrat de travail en cas de mandat social, - mettre définitivement un terme aux indemnités de départ abusives (« parachutes dorés »). L’indemnité de départ ne doit pas pouvoir excéder deux ans de rémunération, - renforcer l'encadrement des régimes de retraite complémentaire, - fixer les règles complémentaires pour les options d'achat ou de souscription d'actions et l'attribution d'actions de performance pour un meilleur encadrement. En particulier, si l’attribution d’options ne bénéficie pas à l’ensemble des salariés, il est nécessaire de prévoir un autre dispositif d’association de ceux-ci aux performances de l’entreprise. - et enfin, améliorer la transparence sur tous les éléments de la rémunération en suivant une présentation standardisée.



En juillet dernier, ces recommandations fait l'objet d'une appréciation quant à son application par les sociétés concernées, notamment par l'Autorité des Marchés Financiers mais aussi par la Commission des lois de l'Assemblée Nationale, qui a rendu un rapport d’information le 7 juillet 2009. Il ressort à l'évidence de ces deux rapports un bilan mitigé de l'application du code (de bonne gouvernance) par les sociétés cotées à la Bourse de Paris, bilan faisant état de tentatives de moralisation au succès relatif. Le rapport Houillon, sur la base de propositions, appelle même, à l'élaboration d'une loi-cadre, contrairement à ce que préconisent les organismes professionnels préférant laisser du temps au code pour s'appliquer. Parmi les dispositions proposées, on soulignera : - la nécessité que la rémunération des dirigeants corresponde « à l'intérêt général de l'entreprise », ce qui supposerait qu'elle tienne compte notamment des performances économiques réalisées ainsi que du traitement social des salariés. Ce principe aurait comme conséquence non négligeable de permettre aux actionnaires, estimant la rémunération trop élevée, de la contester judiciairement. - donner une base réglementaire à l'actuel comité des sages du MEDEF et de l'AFEP, en le transformant en observatoire des rémunérations patronales et en permettant sa saisine notamment par les actionnaires représentant au moins 5% du capital social. - un comité des rémunérations devrait devenir obligatoire pour toutes les sociétés cotées à l'instar du comité d'audit en décembre 2008. - rendre obligatoire la consultation des assemblées générales ordinaires des actionnaires sur l'intégralité de la rémunération des dirigeants. - remplacer les retraites chapeaux par un système par capitalisation sur la base de cotisation personnelle tout au long du mandat. - la suppression des jetons de présence ? - et la suppression de la décote de 20% sur le prix d'attribution des stock-options.

Ainsi sur la base de ce rapport, il était possible de s'attendre à une intervention législative en la matière. Ce fut le cas. Ainsi, une proposition de loi à l’initiative de M. Jean-Marc Ayrault était enregistrée, le 2 septembre 2009, à la Présidence de l'Assemblée Nationale, proposition visant, nous citons, « à rendre plus justes et plus transparentes les politiques de rémunérations des dirigeants d’entreprises et des opérateurs de marché ». De prime abord, le député-maire de Nantes considère qu’il est nécessaire de contrôler l’usage de l’argent du contribuable lorsque l’Etat soutient une entreprise. Il est ainsi suggéré un « plafonnement des salaires des dirigeants d’entreprises aidées ». Il incite ensuite à mettre fin aux récents scandales sur les avantages sociaux disproportionnés accordés à certains dirigeants d’entreprises en proposant un texte court mais, somme toute, très révolutionnaire (trop peut-être pour être sans arrière pensée politique) visant à plafonner la rémunération des dirigeants et limiter les avantages sociaux. Ce texte s'inscrit, d’ailleurs, dans la continuation de deux décrets récents (décrets du 30 mars 2009 et du 20 avril 2009). Le texte est court : 8 articles. L’article 1 prévoit le plafonnement de la rémunération des dirigeants d’une société dès lors que la société bénéficie d’aides publiques sous forme de recapitalisation. L'article 2 vise à rendre la rémunération des dirigeants de société plus transparente. Cet amendement prévoit d’instaurer, au sein même du conseil d’administration, un comité « indépendant » des rémunérations, qui devra remettre un rapport à l’assemblée générale des actionnaires, sur les rémunérations des dirigeants de l’entreprise et sur la politique passée et à venir de rémunération de la société. Ce comité contrôle ainsi les rémunérations, notamment celles de ses dirigeants. L’article 3 vise à clarifier la rémunération des dirigeants de société en la rendant transparente. L’article 4 limite les indemnités de départ des dirigeants de société en stipulant qu'elle ne peut pas être excessive. Toutefois, il convient de préserver une protection sociale raisonnable pour l’immense majorité des mandataires sociaux qui prennent le risque de diriger une société. L’article 5 vise à limiter le montant des retraites chapeaux des dirigeants de société. Les articles 6 et 7 visent à replacer les stock-options dans leur mission d’origine, à savoir aider les sociétés nouvellement créées et accompagner le risque pris par les créateurs d’entreprises. C’est pourquoi, l’attribution de stock-options est interdite sauf dans le cas d’une société ayant moins de cinq années d’exercice (art.6). En outre, est interdit d’une part, l’attribution de stock-options et d’autre part, l’attribution gratuite d’actions aux dirigeants de sociétés dès lors que ces dernières bénéficient d’aides publiques. L’article 8 propose la limitation de la partie variable (« bonus ») des revenus des opérateurs de marchés financiers (« traders »), le « bonus » ne pouvant excéder le montant de la rémunération fixe nette.

Bien mal acquis ne profitera plus ?

La proposition a été adoptée en première lecture le 20 octobre, mais après une cure d’amaigrissement spectaculaire : seul l’article 2 (consacré au comité des rémunérations) a survécu à l'intervention de la Commission des lois. La proposition est actuellement en lecture devant le Sénat. On ne peut être que déçu, d’autant plus, si ce comité des rémunérations est pensé comme celui d'audit précédemment instauré par l’ordonnance du 8 décembre 2008, dont les implications pratiques sont plus que modestes. De toutes les façons, nous doutons que l’instauration d’un comité des rémunérations soit une réponse adéquate. Néanmoins, gardons espoir.

N’oublions pas aussi qu’en filigrane du législateur français, il y a aujourd’hui le législateur européen qui s’est intéressé également de près à la question. En effet, la Commission Européenne, dans une communication visant la rémunération des dirigeants mandataires sociaux des sociétés cotées, en date du 30 avril 2009 (Communiqué de presse IP/09/673, Bruxelles le 29 avril 2009), et qui est peut-être le premier pas vers une directive, affirme qu' « une politique de rémunération appropriée devrait lier la rémunération à la performance et inciter les administrateurs à garantir la viabilité de l'entreprise à moyen et long termes ». Elle a, dans ce dessein, fait plusieurs propositions assez intéressantes, dont une préconisant notamment le plafonnement des parachutes dorés à deux ans de la composante fixe de la rémunération, et même de les interdire en cas d'échec. Elle souhaite permettre aux entreprises de recouvrer les rémunérations variables lorsqu'il est manifeste qu'elles ont été versées de manière erronée. Un véritable mécanisme de « récupération » est proposé. Elle préconise également, dans la droite ligne des principes de bonne gouvernance, de promouvoir la viabilité de l'entreprise à long terme grâce à un équilibre entre les critères de performances à court et moyen termes dont dépend les rémunérations des administrateurs. Enfin, de manière globale, elle préconise un renforcement du contrôle des actionnaires sur les rémunérations.

Ces dispositions, pour partie assez novatrices, de la Commission Européenne qui pouvaient laisser penser au moment de leur énonciation à une suite plus contraignante, ont un avenir peut-être incertain. En effet, si la Commission énonçait que cette communication n'était que la première étape de sa stratégie afin de s'attaquer au problème de la rémunération des dirigeants, les conditions entourant la récente nomination de M. Michel Barnier pourrait remettre cette politique en question. Cette nomination, a cristallisé un conflit Paris / Londres quant à la personnalité (et sa philosophie économique) au poste de commissaire européen au Marché intérieur et aux Services Financiers de la Commission Européenne, les britanniques craignant que la France examine de trop près des nouvelles régulations qui pourraient ralentir La City. Cela a abouti à un consensus qui pourrait « lier les mains », ou du moins restreindre la capacité d'action, de cette personnalité au sujet notamment de la rémunération des dirigeants des sociétés cotées. Il faudra donc attendre l'arbitrage politique qui sera opéré pour savoir si la Commission Européenne continuera dans la voie qu'elle avait semblé prendre en début d'année.

Bien mal acquis ne profite plus un jour… peut-être.

Jean-Louis Navarro Lucille MICHEL Etudiante en Master 2 droit des affaires comparé, Université Lumière Lyon 2 Chloé PIGNAL Etudiante en Master 2 droit des affaires comparé, Université Lumière Lyon 2