Cass., QPC, 16 avr. 2010, n° 10-40.002 .

L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 avril 2010 soulève d'importantes questions juridiques en droit constitutionnel français et en droit de l'Union européenne, à la fois d'un point de vue matériel et procédural. Le tout dans un contexte d'urgence. M. A, de nationalité algérienne, en situation irrégulière en France, a fait l'objet d'un contrôle de police dans la zone frontalière franco-belge, par application de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale. Le préfet du Nord lui a alors notifié un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de maintien en rétention. Saisi du problème de régularité d'une demande de prolongation de sa détention, le juge des libertés et de la détention a transmis à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité : Est-ce que la possibilité de contrôler l'identité d'individus en zone frontalière est contraire à l'article 88-1 de la Constitution, aux termes desquels « la République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (...) », dans la mesure où le droit de l'Union européenne « assure l'absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures » (article 67 TFUE) ? La Cour considère que la question du juge des libertés vise en réalité la conformité du droit français à la fois au droit de l'Union et à la Constitution française. Par application de la loi organique du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution relatif à la question de constitutionnalité, la Cour précise que « les juges du fond ne peuvent pas statuer sur la conventionnalité d'une disposition légale avant de transmettre la question de constitutionnalité ». Pour cette raison, elle juge que les juges nationaux peuvent être privés de la possibilité de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle (prévue par l'article 267, alinéa 2, TFUE) notamment si le Conseil constitutionnel juge que la décision législative est conforme au droit de l'Union. De plus, elle ne pourrait plus elle-même poser de question préjudicielle à la Cour de justice, alors que l'article 267, alinéa 3, TFUE, impose aux juridictions de dernier ressort de poser une question préjudicielle en cas de doute sur l'interprétation des traités UE et FUE. La Cour de cassation a donc décidé de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice : - est-ce que la loi organique, qui impose aux juridictions nationales de se prononcer par priorité sur la transmission au Conseil constitutionnel de la question de constitutionnalité, est conforme à l'article 267 TFUE relatif au renvoi préjudiciel à la Cour de justice alors que l'inconstitutionnalité éventuelle, issue de l'article 88-1 de la Constitution, résulterait en réalité d'une contrariété avec le droit de l'Union européenne ? - est-ce que le droit français (article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale) est contraire au droit de l'Union européenne (article 67 TFUE) ? La Cour de cassation devant statuer dans un délai de trois mois sur le renvoi de la question de constitutionnalité, ainsi que le prévoit la loi organique du 10 décembre 2009, elle demande à la Cour de justice de statuer en urgence.




Qu’il nous soit permis d’exprimer quelques doutes sur la position dégagé par la Haute juridiction judiciaire. La QPC n'empêche pas le contrôle de conventionnalité, simplement elle peut amener à le différer. En plus, en l’espèce, la question était fort intéressante sur le plan interne puisqu'elle aurait permis au juge constitutionnel de préciser la portée de l'article 88-1 de la Constitution dont il ne tire actuellement qu’une exigence constitutionnelle de transposition des directives. A la rigueur, l'éventuelle question préjudicielle à la CJUE aurait pu être formée par le juge constitutionnel lui-même. Nous n’irons pas jusqu’à dire qu’il aurait dû la poser directement, mais en tout cas au moins inviter à le faire, à l’appui d’une décision QPC de rejet (en fonction justement de la portée conférée à l’article 88-1 invoqué en l’espèce), les autorités compétentes pour appliquer les obligations issues du champ de l’article 55 de la Constitution que le juge constitutionnel se refuse à appliquer directement. A notre avis, c’est toute une logique systémique que la Cour de cassation met à plat. C'est jouer « contre son camp » (si ça se confirme, il faudra modifier la loi organique) et plus encore, contre le justiciable.

Source : « Dépêches JurisClasseur », 22/04/2010 :

Voir aussi : Journal d'un avocat