Déc. n° 2010-605 D.C., 12 mai 2010.

Dans sa décision n° 2010-605 D.C., rendue le 12 mai 2010, le Conseil constitutionnel valide l’intégralité des dispositions de la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. Au-delà de la loi, cette décision marquera car le juge constitutionnel en profite pour préciser l’articulation des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité, suite aux incertitudes issues de l’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité. Il anticipe par là-même la réponse de la C.J.U.E. à la question préjudicielle adressée par la Cour de cassation (voir B. Mathieu, JCP G. 2010(15).866) et, si l’on ose dire, entreprend de déminer le terrain, en livrant une lecture très euro-conciliante de la question prioritaire de constitutionnalité.

Les requérants invoquaient l’argument selon lequel « le droit communautaire n'impose nullement une telle ouverture à la concurrence puisque la Cour de justice de l'Union européenne admet au contraire le maintien des monopoles dès lors qu'ils sont justifiés par les objectifs de protection de l'ordre public et de l'ordre social » et invitaient, en conséquence, le Conseil constitutionnel « à vérifier que la loi “n'est pas inconventionnelle” en se référant à l'arrêt de la Cour de cassation du 16 avril 2010 susvisé qui indique que le Conseil constitutionnel pourrait exercer “un contrôle de conformité des lois aux engagements internationaux de la France, en particulier au droit communautaire” ».

Le juge du pavillon Montpensier, se fondant sur la lecture de l’article 55C dégagée dans le cadre de la jurisprudence I.V.G. (déc. n° 74-54 D.C. du 15 janvier 1975) (considérant 10), réaffirme la répartition des contrôles entre le juge constitutionnel (constitutionnalité) et les juges ordinaires (contrôle de conventionnalité) ; il en déduit alors que « le moyen tiré du défaut de compatibilité d'une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d'inconstitutionnalité » (considérant 11) et relève donc de la compétence des juridictions administratives ou judiciaires (considérant 12). Parvenu à ce stade, le Conseil constitutionnel intègre les exigences, nouvelles, tirées de la question prioritaire de constitutionnalité : si ses décisions sont revêtues de l’autorité de la chose jugée (art. 62C), celle-ci n’empêche pas les juridictions ordinaires pour mettre en œuvre le contrôle de conventionnalité et, éventuellement, faire prévaloir un engagement international sur une disposition législative (considérant 13). De plus, le Conseil constitutionnel précise la portée du caractère prioritaire de la question prioritaire de constitutionnalité : le juge qui transmet une telle question « peut, d'une part, statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'il statue dans un délai déterminé ou en urgence et, d'autre part, prendre toutes les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ». Le juge saisi « peut ainsi suspendre immédiatement tout éventuel effet de la loi incompatible avec le droit de l'Union, assurer la préservation des droits que les justiciables tiennent des engagements internationaux et européens de la France et garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir ». Alors que la doctrine proposait une lecture plutôt stricte de la priorité, le Conseil constitutionnel rappelle, au contraire, que rien dans les dispositions afférentes à ce mécanisme n’empêche que le juge saisi « fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l'Union soient appliquées dans ce litige » (considérant 14). Enfin, le Conseil constitutionnel rappelle que le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité n’est pas incompatible avec celui de la question préjudicielle à la C.J.U.E. (considérant 15).

Au terme de ce raisonnement, le juge constitutionnel apporte deux ultimes précisions : 1/ la signature et l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne ne conduisent pas à l’abandon de la jurisprudence I.V.G. (considérant 16). 2/ Le respect de l’exigence de transposition des directives communautaires (déc. n° 2004-496 D.C., 10 juin 2004), déduite de l’article 88-1C, « ne relève pas des « droits et libertés que la Constitution garantit » et ne saurait, par suite, être invoqué dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité » (considérant 19).

Sans nul doute, la décision 605 D.C. illustre bien que la dialogue des juges ne fait que commencer, la question prioritaire de constitutionnalité alimentant les échanges bien plus qu’elle ne les clôt.

En plus de la décision, le lecteur pourra se reporter aux documents suivants :