Par trois arrêts du 19 octobre 2010, la chambre criminelle de la Cour de cassation, statuant en formation plénière, a jugé que certaines règles actuelles de la garde à vue ne satisfaisaient pas aux exigences de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme telles qu'interprétées par la Cour européenne. La chambre criminelle estime que la personne placée en garde à vue doit être effectivement assisté par un avocat dès le début de la mesure, quelle que soit la nature de l'infraction. Cette jurisprudence ne pourra toutefois s'appliquer qu'à compter du 1er juillet 2011.

Régimes dérogatoires.

À la différence du Conseil constitutionnel, lequel avait estimé qu'il n'y avait pas lieu de procéder à l'examen de la constitutionnalité des régimes dérogatoires, deux des trois décisions rendues par la Cour de cassation concernent ces régimes. La Haute juridiction estime que la restriction au droit, pour une personne gardée à vue, d'être assistée dès le début de la mesure par un avocat, en application de l'article 706-88 du Code de procédure pénale instituant un régime spécial à certaines infractions, doit répondre à l'exigence d'une raison impérieuse, laquelle ne peut découler de la seule nature de l'infraction. De plus, la personne gardée à vue doit être informée de son droit de garder le silence et doit bénéficier de l'assistance d'un avocat dans des conditions lui permettant d'organiser sa défense et de préparer avec lui ses interrogatoires, auxquels l'avocat doit pouvoir participer.

Adopté en Conseil des ministres le 13 octobre, le projet de loi relatif à la garde à vue porte exclusivement sur le régime de droit commun. Le garde des Sceaux a indiqué que « pour les régimes dérogatoires, (...) le Gouvernement tiendra évidemment compte de ces décisions et complètera le texte du projet de loi par voie d'amendement. Cela concernera bien sûr la notification du droit au silence et la nécessité de motiver au cas par cas le report de la présence de l'avocat pour une raison impérieuse, et non pas seulement en raison de la nature de l'infraction ».

Application dans le temps.

Dans un communiqué, la chambre criminelle explique s'être trouvée dans une situation juridique inédite : la non-conformité à la Convention EDH de textes de procédure pénale fréquemment mis en oeuvre et par ailleurs déclarés, en grande partie, inconstitutionnels par le Conseil constitutionnel, cette déclaration ayant un effet différé dans le temps (Cons. const., déc. 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC : JCP G 2010, act. 914, Aperçu rapide par F. Fournié ; Procédures 2010, repère , 9 ; V. égal. Cons. const., déc. 22 sept. 2010, n° 2010-31 QPC). Dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel avait déclaré le régime de droit commun de la garde à vue contraire à la Constitution, tout en reportant les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité au 1er juillet 2011 afin de permettre au Parlement de procéder à des modifications des textes. En conséquence, les mesures prises avant cette date « ne pourront être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité », avait indiqué le Conseil (V. JCP G 2010, 961).

La chambre criminelle a donc décidé que « ces règles de procédure ne peuvent s'appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en oeuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice (...), ces règles prendront effet lors de l'entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la garde à vue, ou, au plus tard, le 1er juillet 2011 ».

A lire :

le communiqué de presse de la Cour de cassation sur les 3 arrêts rendus le 19 octobre 2010

Voir les arrêts :

Références de pourvois :

- n° 10-82.902

- n° 10-82.306

- n° 10-85.051




Pour mémoire, sur l’inconventionnalité du régime de droit commun de la garde à vue applicable en France : CEDH, 14/10/2010, Brusco c. France, n° 1466/07, référence HUDOC

Sur ce thème, nous publierons un billet plus long de synthèse sur l’ensemble de l’évolution de la remise en cause constitutionnelle et conventionnelle du régime de la garde à vue, la réaction des pouvoirs publics qu’elle a entraînée, et le débat doctrinal qu’elle a suscitée avec une bibliographie indicative. A suivre.

Vincent THIEBAUD