Le droit à l'exécution d'une décision de justice, considéré comme l'un des aspects du droit d'accès à un tribunal, n'est pas un droit absolu.

Le lendemain du dernier Noël du XXe siècle, seize familles, comprenant soixante-deux personnes dont trente-neuf enfants en bas âge, prirent possession d'un immeuble parisien inoccupé appartenant à un marchand de biens. En mars 2000, le président du tribunal de grande instance ordonna l'expulsion des occupants. À partir d'août 2000 et jusqu'en mars 2003, la société propriétaire demanda, par trois fois, le concours de la force publique afin de faire procéder à l'expulsion. Mais le juge des référés du tribunal administratif rejeta le recours de la société propriétaire contre le refus préfectoral d'intervenir. Les première et troisième demandes étaient fondées sur le défaut d'urgence et la deuxième, sur un motif d'ordre public (absence de solution de relogement pour les 62 occupants).

Parallèlement à cette procédure, la juridiction administrative a reconnu la responsabilité sans faute de l'État en raison de l'inexécution de la décision judiciaire demandant l'expulsion et a, à ce titre, accordé une indemnisation à la société propriétaire. En 2007, cet immeuble fut évacué à la suite d'un incendie. Une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique au profit de la société immobilière d'économie mixte de la ville de Paris a ensuite été initiée, procédure actuellement en cours.

En l'espèce, le refus des autorités françaises de prêter leur concours à l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance n'a pas eu pour effet de porter atteinte à la substance du droit à un tribunal garanti par l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH 19 mars 1997, Hornsby c. Grèce, n° 18357/91, Rec. CEDH, p. 1997-II ; D. 1998. Jur. 74, note N. Fricero ; RTD civ. 1997. 1009, obs. J.-P. Marguénaud ). En effet, la Cour européenne des droits de l'homme estime que les États signataires de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme disposent d'une certaine marge d'appréciation dans l'application des lois relevant de la politique sociale et économique et, particulièrement, dans le domaine du logement. C'est cette marge d'appréciation que contrôle la Cour européenne des droits de l'homme afin de déterminer s'il peut exister une atteinte au droit à un tribunal. Le refus de concours de la force publique, limitation du droit d'accès à un tribunal, n'est acceptable pour la Cour qu'à la condition de poursuivre un but légitime et de le faire de manière proportionnée. Ainsi, priver la chose jugée de sa réalisation exige des circonstances très particulières (CEDH 31 mars 2005, Matheus c. France, § 59, n° 62740/00, AJDI 2005. 928, obs. Raynaud ; RD publ. 2006. 785; JCP 2005. I. 159, nº 19, obs. Sudre ; 21 janv. 2010, Barret, Sirjean c. France, n° 13829/03, AJDA 2010. 125, obs. E. Royer ; RTD civ. 2010. 293, obs. J.-P. Marguénaud ).

En l'espèce, la Cour observe que le refus des autorités d'exécuter la décision d'expulsion ne résulte pas d'une carence de l'administration. Ce refus était motivé par le souci de pallier le risque sérieux de troubles à l'ordre public liés à l'expulsion de plusieurs familles composées essentiellement d'enfants. Cette occupation s'inscrivait également dans le cadre d'une action militante à visée médiatique. Par ailleurs, les occupants, vivant dans une situation de précarité et de fragilité, devaient pouvoir bénéficier d'une protection renforcée.

Enfin, cette décision d'irrecevabilité ne consacre pas pour autant un « droit conventionnel au logement ni même un droit à l'occupation sans titre des immeubles vides ». La nécessité de disposer d'un logement est considérée par la Cour européenne des droits de l'homme comme un intérêt social « susceptible de contrebalancer d'autres droits, en particulier le droit de propriété » (V. Hervieu, Tu n'auras pas à expulser nécessairement les squatteurs, Le Monde).

C. de Gaudemont

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Sources :

CEDH 12 oct. 2010, Sté Cofinfo c. France, n° 23516/08

Article "Refus de concours de la force publique pour l’exécution d’une décision d’expulsion et protection renforcée des personnes mal-logées" rédigé par Nicolas Hervieu paru le 3 novembre 2010 sur combatsdroitsdelhomme.blog.lemonde.fr