Dans un arrêt du 4 novembre 2010, la Cour européenne des droits de l'homme constate, une nouvelle fois, une violation par la France du droit à l'assistance d'un avocat.

Poursuivi des chefs de vol en réunion et par effraction, séjour irrégulier et falsification de document, le requérant fit l'objet d'une condamnation prononcée par défaut par la cour d'appel d'Amiens à un an d'emprisonnement et cinq ans d'interdiction du territoire français. Placé en détention provisoire dans le cadre d'une autre affaire, l'intéressé forma opposition et informa l'avocat commis d'office qui l'avait assisté au cours de l'information judiciaire de la date de l'audience. Devant la cour d'appel, n'ayant reçu aucune nouvelle de son avocat, le prévenu sollicita le renvoi de l'affaire. Tout en rejetant cette demande au motif que le requérant avait disposé du temps suffisant pour contacter son avocat, la Cour d'appel déclara l'opposition recevable, mais confirma la déclaration de culpabilité ainsi que les peines préalablement prononcées. Après avoir formé un pourvoi en cassation qui fut déclaré non admis, le requérant saisit la Cour européenne des droits de l'homme en invoquant trois violations de l'article 6 de la Convention. Ayant déclaré manifestement mal fondé et irrecevable le grief portant sur l'absence de motivation des peines infligées au condamné, la Cour de Strasbourg devait se prononcer sur les allégations d'atteintes au droit à l'assistance d'un avocat et d'un interprète lors de l'audience devant la Cour d'appel.

S'agissant du droit à l'assistance d'un avocat, les juges européens rappellent l'obligation qui est faite aux États de garantir son effectivité, notamment lorsqu'une privation de liberté est en jeu (V. not. CEDH, gde ch., 10 juin 1996, Benham c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, n° 19380/92, RSC 1997. 455, obs. R. Koering-Joulin ; ibid. 480, obs. R. Koering-Joulin ; JDI 1997. 220, note M. Poutiers). Or, la Cour relève qu'en l'espèce, non seulement une telle peine était encourue, mais aussi que l'audience d'appel représentait l'unique occasion pour le requérant de se faire entendre par les juges du fond sur les faits qui lui étaient reprochés, ce qui rendait encore plus déterminante l'intervention d'un défenseur. De surcroît, selon la Cour, à supposer même que le requérant ait fait preuve de négligence, cela ne suffisait pas à justifier le refus de reporter l'audience devant la Cour d'appel, en particulier au regard du fait que l'intéressé était incarcéré depuis plusieurs mois, ce qui avait nécessairement compliqué ses démarches pour trouver un avocat. Par conséquent, la Cour estime qu'en refusant de reporter l'audience, les autorités françaises ont porté atteinte au droit du requérant de disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense et à l'assistance d'un avocat garantis par l'article 6, § 3, b) et c) de la Convention.

De la sorte, la Cour de Strasbourg reprend sa jurisprudence protectrice des garanties procédurales des requérants incarcérés (V. not. pour ce qui concerne le droit d'accès par un détenu au juge d'appel, CEDH 17 janv. 2006, Barbier c. France, n° 76093/01, D. 2006. Jur. 1209, note F. Defferrard et V. Durtette ; JDI 2007. 702, note O. Bachelet). Surtout, après le retentissant arrêt Brusco relatif à la garde à vue (CEDH 14 oct. 2010, Brusco c. France, n° 1466/07, Dalloz actualité, 22 oct. 2010, obs. M. Léna ; D. 2010. 2425, édito. F. Rome ; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud ), elle révèle une nouvelle méconnaissance par la France du droit à l'assistance d'un défenseur. En effet, traditionnellement, la Cour de cassation affirme qu'il est possible aux juges du fond de refuser un report d'audience, malgré l'absence de l'avocat de la personne mise en cause, dès lors que ce refus est motivé (V. not. Crim. 31 mars 2005, D. 2006. Somm. 617, obs. J. Pradel ; RSC 2005. 874, obs. D.-N. Commaret ; 24 mai 2006, D. 2006. IR 1704 ; ibid. 2007. 973, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2006. 412, obs. J. Leblois-Happe ; RSC 2006. 847, obs. R. Finielz ). À l'image de ce qui avait été jugé dans la célèbre affaire Hakkar c. France (Comm. EDH, rapport du 27 juin 1995 ; Comité des ministres, décision du 15 décembre 1995, n° 19033/91, RSC 2001. 123, obs. F. Massias ), la Cour européenne s'oppose, en l'espèce, à une telle solution puisqu'elle constate une violation de l'article 6, § 3, c), de la Convention alors que le refus de reporter l'audience avait bel et bien été motivé par les juges du fond.

Il convient, toutefois, de ne pas tirer de conséquences excessives de cet arrêt qui consisteraient à reconnaître un véritable droit au report de l'audience en cas d'absence de l'avocat de la personne mise en cause. La particularité des faits de l'espèce, qui révèlent également une atteinte au droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, laissent entendre qu'en d'autres circonstances le rejet de la demande de report aurait pu être justifié, en particulier afin de garantir le principe de célérité procédurale. Il reste alors à s'interroger, dans une telle hypothèse de refus justifié de report d'audience, sur l'éventuelle obligation de désigner d'office un autre avocat pour défendre les intérêts du requérant, sachant que la Cour européenne admet qu'il soit ainsi porté atteinte au libre choix de l'avocat par le mis en cause lorsque l'intérêt de la justice le justifie (V. CEDH 29 sept. 1992, Croissant c. Allemagne, n° 13611/88).

Quant au droit à l'assistance d'un interprète, la Cour européenne rappelle qu'il doit permettre à la personne mise en cause, non seulement d'être informée des faits qui lui sont reprochés, mais aussi de se défendre, notamment en livrant au tribunal sa version des événements (V. CEDH, déc., 17 mai 2001, Güngör c. Allemagne, no 31540/96). Dans cette perspective, selon la Cour, doivent être prises en compte les connaissances linguistiques du requérant ainsi que la complexité des faits reprochés et des communications qui lui sont adressées par les autorités internes. En l'espèce, les juges européens relèvent que si, à l'audience de la cour d'appel, le requérant a sollicité l'assistance de son avocat, il n'a formulé aucune demande d'interprétariat. Pourtant, ayant été assisté d'un interprète lors de l'information judiciaire, il ne pouvait ignorer qu'une telle possibilité lui était offerte en cas de maîtrise insuffisante de la langue française. Par ailleurs, selon la Cour, plusieurs circonstances permettent de considérer que le requérant disposait de connaissances linguistiques suffisantes : résidant en France depuis au moins six ans, il est marié, père d'un enfant et exerce la profession d'entraîneur sportif. Dès lors, la Cour européenne conclut à la non-violation de l'article 6, § 3, e) de la Convention.

Bien qu'il ne constate pas une méconnaissance du droit à l'interprétariat, l'arrêt Katritsch c. France rappelle implicitement l'« obligation positive » qui impose aux États de provoquer l'intervention d'un interprète compétent dès lors que les intérêts de la justice le commandent (V. not. CEDH 19 déc. 1989, Kamasinski c. Autriche, n° 9783/82). L'importance de ce droit vient d'ailleurs d'être réaffirmée avec la publication au Journal officiel de l'Union européenne, le 26 octobre 2010, de la directive relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (Dir. n° 2010/64/UE, 20 oct. 2010, JOUE 26 oct., p. 1 ; Dalloz actualité, 9 nov. 2010, obs. Priou-Alibert ). Ce texte définit un certain nombre de règles communes, en particulier - comme l'exige la Cour de Strasbourg (V. CEDH 28 nov. 1978, Luedicke, Belkacem et Koc c. Allemagne, nos 6210/73, 6877/75 et 7132/75) - l'obligation pour les États-membres de prendre en charge l'ensemble des frais d'interprétation et de traduction. Cette directive devra être transposée en droit interne avant le 27 octobre 2013.

O. Bachelet

Dalloz actualité © Editions Dalloz 2010

Sources :

CEDH 4 nov. 2010, Katritsch, n° 22575/08

Communiqué de presse de la CEDH sur cet arrêt

Article "Droit à l’assistance d’un avocat et d’un interprète" rédigé par Nicolas Hervieu paru le 15 novembre 2010 sur combatsdroitsdelhomme.blog.lemonde.fr