Dans cet arrêt du 2 novembre 2010, la Cour européenne des droits de l'homme décide, à l'unanimité, que le refus des autorités turques de considérer une femme comme l'ayant droit d'un homme avec lequel elle n'avait contracté qu'un mariage religieux n'est pas contraire à la Convention.

En l'espèce, une femme, mariée religieusement avec un homme pendant vingt-six ans et dont elle avait eu six enfants, a demandé, au décès de celui-ci, le bénéfice d'une pension de réversion et de droits de santé au titre de son défunt compagnon. S'opposant au refus des autorités turques, elle a saisi la CEDH. Dans sa requête, elle soutient notamment avoir été victime d'une discrimination (violation de l'article 14), dans la mesure où une femme mariée conformément au code civil pourrait quant à elle bénéficier des droits sociaux de son mari prédécédé. La CEDH, admettant que cette différence de traitement a pour seul motif la nature du mariage de la requérante, en conclut que la nature civile ou religieuse d'un mariage peut par conséquent être à l'origine d'une discrimination prohibée par l'article 14. S'interrogeant alors sur le point de savoir si cette différence de traitement a une justification objective et raisonnable, elle répond positivement à cette question : la différence de traitement poursuit des buts légitimes (maintien de l'ordre public, protection des droits et libertés d'autrui) et a une justification objective et raisonnable (la requérante savait qu'elle devait régulariser sa situation, le code civil étant clair sur la prééminence du mariage civil, elle avait en outre disposé d'un laps de temps suffisamment long pour le faire).

En droit français, la primauté de la célébration civile du mariage sur une éventuelle cérémonie religieuse est assurée par l'article 433-21 du code pénal qui punit de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende le fait, pour un ministre du culte, de procéder « de manière habituelle aux cérémonies religieuses du mariage sans que ne lui ait été justifié l'acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l'état civil ». On ne peut toutefois exclure avec certitude l'éventualité que cette primauté ne soit pas respectée, même dans des cas quantitativement marginaux. De fait, la législation turque prévoit qu'à l'issue du mariage civil, est remis aux époux un livret de famille sans lequel aucune cérémonie religieuse ne peut être célébrée. Et pourtant, dans l'affaire jugée par la CEDH, seul un mariage religieux avait été contracté.

Comme la Turquie, la France traite différemment les couples selon la nature religieuse ou civile de leur union, seule cette dernière étant un mariage au sens du droit français. A la lecture de l'arrêt Serife Yigit, cette différence de traitement ne devrait toutefois pas être jugée constitutive d'une discrimination.

I. Gallmeister

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Sources :

CEDH 2 nov. 2010, Serife Yigit c. Turquie, req. n° 3976/05

Communiqué de presse de la CEDH sur cet arrêt

Article "Absence d’un droit à la reconnaissance des mariages religieux et prestations sociales réservées aux couples mariés civilement" rédigé par Nicolas HERVIEU paru le 10 novembre 2010 sur combatsdesdroitsdelhomme.blog.lemonde.fr