Dans un arrêt du 7 décembre 2010, la Cour européenne des droits de l'homme condamne la Pologne pour avoir refusé à un détenu la possibilité de suivre un régime alimentaire spécifique, au mépris des règles prescrites par sa religion.

Dans son arrêt Jakóbski contre Pologne du 7 décembre 2010, les juges européens estiment que les autorités polonaises ont porté atteinte à la liberté de religion du requérant (art. 9 Conv. EDH) en lui refusant de suivre, en prison, un régime sans viande ni poisson comme le prescrit sa religion. Dans cet arrêt, la Cour affirme tout d'abord que le refus des autorités pénitentiaires de permettre au requérant de suivre un régime spécifique relève bien du champ d'application de l'article 9 de la Convention (§ 45 de l'arrêt). Elle estime en effet que la décision du requérant de se conformer à un régime végétarien est inspirée par la religion. Elle souligne que la religion bouddhiste est une des principales religions reconnues dans de nombreux pays et rappelle en outre avoir déjà estimé que l'observation de règles alimentaires pouvait être regardée comme l'expression directe d'une croyance au sens de l'article 9 de la Convention (V. not. CEDH, gde ch., 27 juin 2000, Cha'are Shalom Ve Tsedek c. France, Rec. CEDH, p. 2000-VII, n° 27417/95, RFDA 2001. 1250, chron. H. Labayle et F. Sudre ).

Les juges de Strasbourg observent ensuite que les demandes du requérant afin de bénéficier d'un régime alimentaire spécifique ont été refusées en particulier en raison des coûts et des charges supplémentaires que cela aurait entraîné pour l'administration pénitentiaire. Elle note encore que le seul régime alimentaire particulier dont a pu bénéficier le requérant et qui excluait uniquement la viande de porc n'était pas conforme aux prescriptions diététiques de sa religion. Tout en reconnaissant que la mise en place de dispositions spéciales pour tel ou tel détenu peut avoir des implications financières pour l'institution pénitentiaire dans son ensemble, la Cour examine si l'État a ménagé un juste équilibre entre les différents intérêts en présence, ceux de l'institution, des autres détenus tout comme ceux du requérant. Or, elle considère que les repas tels que les demandait le requérant n'avaient pas à être préparés, cuits et servis d'une manière spécifique, et ne nécessitaient pas de produits spéciaux. Elle estime en conséquence que la fourniture d'un régime végétarien n'aurait pas entraîné de perturbation dans la gestion de la prison ni une baisse de la qualité des repas servis aux autres détenus (§ 52 de l'arrêt). La Cour souligne en outre que le comité des ministres du Conseil de l'Europe, dans sa recommandation sur les règles pénitentiaires européennes ((Rec 92006)2, disponibles sur le site de la CEDH), a estimé que les détenus devaient bénéficier d'un régime alimentaire tenant compte de leur religion.

La Cour conclut donc à l'unanimité à la violation de l'article 9 de la Convention : les autorités polonaises ont échoué à ménager un juste équilibre entre les intérêts des autorités pénitentiaires et ceux du requérant. Même si, comme le souligne N. Hervieu, « un tel arrêt révèle non pas un droit absolu des détenus à un régime alimentaire conforme à leur confession religieuse mais l'obligation pour les autorités carcérales de satisfaire les demandes raisonnables formulées à ce titre » (Hervieu, En prison, tu pourras demander à manger végétarien par conviction religieuse… dans la mesure du possible, Combats pour les droits de l'Homme et Lettre d'actualité droits-libertés, 7 déc. 2010, CREDOF), la Cour, en raisonnant sur le respect du juste équilibre entre les différents intérêts en présence et en analysant concrètement la demande du requérant, ouvre sans doute ici la porte à de nouvelles requêtes concernant les conditions de détention au sein des États membres (sur le cas de la France, V. Rép. pén. Dalloz, v° Prisons, par J.-P. Céré et M. Herzog-Evans, plus particulièrement sur l'alimentation, nos 206 s. et pour un panorama plus large, J.-P. Céré (dir.), Les systèmes pénitentiaires dans le monde, 2e éd., Dalloz, coll. « Thèmes et Commentaires », à paraître).

C. Schurrer

Dalloz actualité © Editions Dalloz 2011, 11/01/2011

Sources

CEDH 7 déc. 2010, Jakóbski c. Pologne, req. n° 18429/06 (en anglais)

En prison, tu pourras demander à manger végétarien par conviction religieuse… dans la mesure du possible, Actualités droits-libertés, 7 déc. 2010 par Nicolas HERVIEU