La Cour européenne des droits de l'homme confirme son statut de censeur des mesures disciplinaires en vigueur dans l'administration pénitentiaire.

Dans l'arrêt commenté, le régime des fouilles intégrales mis en place concernant le requérant a conduit à la constatation de la violation par la France de l'article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) et de l'article 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l'homme.

En l'espèce, le requérant a comparu devant la cour d'assises de Pau pour des faits d'arrestation, de séquestration et de vol avec arme en récidive. Compte tenu de son statut de détenu particulièrement signalé et de son évasion avec menace d'une arme en mars 2004 alors qu'il se trouvait hospitalisé en unité psychiatrique, des mesures particulières de sécurité furent mises en œuvre à son encontre, lors de son procès qui se déroula du 9 au 18 avril 2008. Le requérant fit ainsi l'objet d'une décision le soumettant à un régime de fouilles corporelles intégrales, opérées quatre à huit fois par jour. Le requérant, en plus de la dénudation, devait accomplir une flexion et en cas de refus le faire au moyen de la force. Ces fouilles étaient pratiquées par des hommes cagoulés et étaient filmées dans les premiers jours du procès. Le requérant tenta vainement de demander la suspension du régime de fouilles devant le juge administratif des référés.

Concernant l'article 3 de la Convention, la Cour, fidèle à sa jurisprudence antérieure (V. not. CEDH, 26 oct. 2000, Kudla c. Pologne), rappelle que « l'article 3 de la Convention impose à l'Etat de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, et que les modalités d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ... ». En outre, elle souligne que « les mesures prises dans le cadre de la détention doivent être nécessaires pour parvenir au but légitime poursuivi » (§ 34). Elle considère, en l'espèce, que les mesures prises ne répondaient pas à « un impératif convaincant de sécurité, de défense de l'ordre ou de prévention des infractions pénales ». Ce faisant, la Cour semble see situer dans la droite lignée de l'arrêt Kudla précité qui a contribué à élargir la notion de traitements dégradants envers les personnes détenues (V. B. Ecochard, L'émergence d'un droit à des conditions de détention décentes garanti par l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, RFDA 2003. 99 ). Néanmoins, il faut relever la référence opérée par la Cour aux changements législatifs intervenus en la matière, la loi pénitentiaire limitant désormais le recours aux fouilles intégrales aux cas où les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffissantes (L. no 2009-1436, 24 nov. 2009, art. 57).

Concernant la violation de l'article 13 de la Convention, la Cour de Strasbourg relève que le requérant n'a pas pu exercer un recours utile contre le régime de fouilles auquel il était soumis. Elle note que le Conseil d'État a reconnu la possibilité de contester par la voie du référé-liberté, le régime des fouilles (CE 14 nov. 2008, req. n° 315622, Lebon ; AJDA 2008. 2145 ; ibid. 2389 , chron. E. Geffray et S.-J. Liéber ; D. 2008. AJ 3013, obs. E. Royer ; ibid. 2009. Pan. 1376, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2009. 89, obs. É. Péchillon ; RFDA 2009. 957, obs. D. Pollet-Panoussis ; RSC 2009. 431, chron. P. Poncela ), mais que le requérant, à l'origine du revirement de jurisprudence opéré par les juges du Palais-Royal n'a pas pu bénéficier d'un tel recours. La Cour contribue ainsi à judiciariser le statut des détenus particulièrement surveillés (DPS), statut qui permet la mise en œuvre de mesures de sécurité adaptées (art. D. 276-1 c. pr. pén.). L'arrêt Khider contre France avait ouvert la voie du recours pour excès de pouvoir contre la décision d' inscription au répertoire des DPS (CEDH, 9 juill. 2009, Khider c. France, req. n° 39364/05, AJDA 2010. 994, étude M. Moliner-Dubost ; D. 2009. Jur. 2462 , note M. Herzog- Evans ; ibid. Pan. 2825, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; ibid. 2010. Pan. 1376, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2009. 372, obs. M. Herzog-Evans ; RSC 2010. 225, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 645, chron. P. Poncela ; CE 30 nov. 2009, Garde des Sceaux, ministre de la justice c. Kehli, req. n° 318589, Lebon ; AJDA 2009. 2320 ; ibid. 2010. 994, étude M. Moliner-Dubost ; AJ pénal 2010. 43, obs. E. Péchillon ). Avec cet arrêt, la Cour européenne des droits de l'homme confirme la possibilité qu'ont les détenus particulièrement surveillés, qui subissent le régime le plus strict en détention, de contester le régime de fouilles auquel ils sont soumis par la voie du référé-liberté (V. M. Molinet-Dubost, La condition des détenus particulièrement signalés sous les feux de l'actualité, AJDA 2010. 994 ).

L. Priou-Alibert
Dalloz actualité © Editions Dalloz 2011, 14 fév. 2011

Sources

CEDH 20 janv. 2011, El Shennawy c. France, req. n° 51246/08