Par une décision Donaldson contre Royaume-Uni du 25 janvier 2011, la Cour européenne des droits
de l'homme estime que l'interdiction faite aux détenus d'Irlande du Nord, d'arborer des symboles à
connotation sectaire ou politique en dehors de leur cellule relève de la marge d'appréciation étatique
et n'enfreint pas l'article 10.
En 2008, le jour de Pâques, le requérant, ressortissant irlandais purgeant une peine de douze ans dans la
prison de Maghaberry (Irlande du Nord), accrocha un lis à son vêtement pour commémorer les républicains
irlandais morts pendant les « Pâques sanglantes » de 1916. Ayant refusé de l'ôter, il fut reconnu coupable
de désobéissance et confiné dans sa cellule pendant trois jours. Les différentes juridictions saisies
estimèrent que les mesures prises par les autorités pénitentiaires étaient proportionnées à l'objectif du
maintien de l'ordre en prison et non discriminatoires. Dans sa requête, l'intéressé invoquait principalement
une violation des articles 10 (droit à la liberté d'expression) et 14 (interdiction de la discrimination ; le port
d'un trèfle et d'un coquelicot étant toléré respectivement pour la Saint Patrick et le jour de l'armistice) de la
Convention européenne des droits de l'homme.
Dans sa décision sur la recevabilité, la Cour rappelle d'abord qu'une personne ne renonce pas à ses droits
du seul fait qu'elle est incarcérée (§§ 18-19). Elle note qu'en l'espèce, la décision du requérant de porter un
lis de Pâques constituait bien un moyen d'expression d'opinions politiques et décide donc d'examiner les
restrictions imposées par les autorités pénitentiaires suivant les critères posés par l'article 10, § 2, pour
légitimer une atteinte à la liberté d'expression (V. déjà, CEDH 8 juill. 2008, Vajnai c. Hongrie, no 33629/06).
Son analyse porte essentiellement sur la proportionnalité de l'ingérence - prévue par la loi (règlement
pénitentiaire des prisons d'Irlande du Nord) - aux buts poursuivis. Elle note ainsi que l'interdiction contribue
à prévenir les désordres autant qu'à garantir les droits d'autrui, en créant un environnement neutre de
travail pour les employés et en empêchant toute discrimination entre les prisonniers (§ 23).
Sur le caractère nécessaire de l'ingérence dans une société démocratique, la Cour relève que des
emblèmes tels que le lis de Pâques sont liés de façon inextricable au conflit en Irlande du Nord et qu'ils
sont susceptibles de créer des divisions voire d'exacerber des tensions existantes ; elle en déduit que les
États contractants doivent, dans une telle situation, bénéficier d'une large marge d'appréciation (§ 28). Elle
estime qu'en l'espèce, eu égard à la nature limitée de l'interférence - le port d'un emblème politique ou
sectaire demeurant possible à l'intérieur de la cellule -, la restriction au port d'un lis de Pâques était
proportionnée au but légitime que constitue la prévention des désordres dans une prison où des individus
violents se trouvent régulièrement en contact (§ 31), et ce, indépendamment du fait que le requérant soit
détenu dans un quartier spécial. Les raisons invoquées par le gouvernement britannique sont jugées
pertinentes et suffisantes et la requête manifestement mal fondée sur le terrain de l'article 10 (§ 33).
Le grief tiré de la violation de l'article 14 est également rejeté. Soulignant, là encore, la marge
d'appréciation des États, la Cour estime, à l'instar du gouvernement, que le requérant ne peut comparer sa
situation à celle des prisonniers souhaitant porter un coquelicot le jour de l'armistice (signe distinctif d'une communauté, mais qui n'est pas directement lié au conflit évoqué ; §§ 38-39 ; sur la liberté d'expression en prison, V. Rép. pén. Dalloz, vo Prison, par M.-H. Evans, nos 302 s.).
S. Lavric
Dalloz actualité © Editions Dalloz 2011, 22 fév. 2011
Sources
CEDH, déc., 25 janv. 2010, Donaldson c. Royaume-Uni, no 56975/09
Article du blog LeMonde, Combats pour les droits de l'homme : "Liberté d’expression en prison et signes politiques : son étendue peut être fonction du contexte d’un pays notamment historique" (Cour EDH, 4e Sect. Dec. 25 janvier 2011, Donaldson c. Royaume-Uni), par Nicolas Hervieu, 15 février 2011