La Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme vient de rendre une décision qui pourrait bouleverser nombre de soirées télévisées… Le scénario de l’espèce est d’ailleurs digne de celles-ci. Imaginons que les séries policières (1) s’échappent d’une vision simpliste, caricaturale et un peu trop américano-centrée de la justice et de ses exigences pour prendre en compte l’état réel du droit. Exercice qui demande un substantiel effort d’imagination, mais pourquoi pas ? Dans cette hypothèse, l’arrêt Gäfgen contre Allemagne, rendu le 1er juin 2010, conduit à un bouleversement, une véritable rupture !!! Désormais, il faudra dire adieu aux avatars de Jack Bauer et aux justiciers du dimanche après-midi qui opèrent une balance entre respect d’un présumé « méchant » et protection d’un présumé « bon/juste » très défavorable au premier (doux euphémisme) !!! La Cour affirme en effet que « non ! Mille fois non ! On ne peut pas bafouer les droits des « méchants » » ! En l’espèce, suite à l’enlèvement d’un enfant, un fonctionnaire de police reçoit l’ordre de menacer le ravisseur présumé de très graves souffrances pour qu’il dise l’endroit où se trouve l’enfant. A force de répétition, celui-ci finit par céder et avoue son crime (le meurtre de l’enfant) et l’endroit où le corps se trouve caché. Un tel traitement, courant dans les représentations de la justice véhiculées par le petit écran, n’est donc plus admissible en Europe. « L’interdiction des mauvais traitements vaut indépendamment des agissements de la victime ou de la motivation des autorités. Elle ne souffre aucune exception, pas même en cas de danger menaçant la vie d’un individu ». Et voilà une bonne part des représentations du rapport entre le bien et le mal qui vacille sous les coups de la Cour… Evidemment, la position de la Cour est la seule compatible avec l’Etat de droit, mais imaginez son impact si elle était reprise par les scénaristes !!! Fini « 24 heures » ou « Texas Walker ranger », (re)bonjour « Derrick », « Arabesque » ou « Columbo » ! Malheur !! Les progrès des droits de l’homme impliquent-ils forcément une telle régression télévisuelle ? Ou bien, nos sociétés sont-elles devenues, à ce point, manichéennes que la représentation de justice doive laisser de côté la subtilité (relisons Crime et Châtiment) au profit d’interrogations caricaturales dignes d’une scène de « Rambo III » ? Ça, la Cour ne le dit pas, mais c’est sans conteste l’une des questions induites par son arrêt. Interrogation dont, au passage, on regrettera qu’il soit encore nécessaire de la poser au début du XXIe siècle…

(1) Nous ne tiendrons pas compte de la nationalité des séries, supposant qu’étant diffusées en Europe, elles doivent (symboliquement) respecter les valeurs et normes européennes. Sachant pertinemment qu’il n’en sera jamais ainsi, nous pouvons admettre le cœur léger ce présupposé !

Voir le communiqué de presse sur l’arrêt.