1. Constitué à l’initiative de Mme Lagarde, ministre en charge de l’économie, le Groupe de travail sur les instructions fiscales a rendu sont rapport le 15 avril 2010. Dans le souci de renforcer la sécurité juridique en matière fiscale, ce rapport a notamment préconisé : a) de systématiser la consultation publique des textes les plus importants dès le stade de leur élaboration, via Internet pour privilégier une consultation large ; b) de publier, dans le mois qui suit la parution des lois fiscales au Journal officiel, la liste des dispositions qui seront commentées par voie d’instruction (ainsi que leur calendrier prévisionnel de publication) ; c) d’instaurer un délai maximal entre l’entrée en vigueur de la loi et la mise à la consultation de l’instruction correspondante (2 mois pour les textes législatifs concertés en amont de leur adoption – 6 mois pour les autres) ; d) de publier sur Internet les principaux projets d’instruction, qui seraient rendus opposables dès leur mise en ligne, c’est-à-dire à un stade encore provisoire – et donc de généraliser une pratique auparavant très occasionnelle.

2. Le lendemain, le 16 avril 2010, Mme Lagarde a décidé (par le biais d’un communiqué de presse) la mise en œuvre immédiate de certaines de ces préconisations. Ainsi, ont été décidé : a) la publication immédiate de la liste des articles de la loi de finances pour 2010 et de la troisième loi de finances rectificative pour 2009 qui feront l’objet d’un commentaire, ainsi que du calendrier prévisionnel de publication des instructions correspondantes ; b) la mise à la consultation publique de l’instruction relative à l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, qui – pour la première fois – sera immédiatement opposable à l’administration, dans l’attente de la publication de l’instruction définitive.

3. Depuis cette décision, 6 projets d’instructions fiscales ont été au total mis en consultation (figurent entre parenthèses les dates de début et de fin des consultations) : a) Imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux – IFER (16 – 27 avril 2010) ; b) Provisions des entreprises au titre de plans d’options d’achat d’actions et de plans d’attribution d’actions gratuites (10 – 31 mai 2010) ; c) Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) - Conditions générales d’application (28 mai – 10 juin 2010) ; e) Abattement sur les bénéfices des entreprises implantées dans les zones franches d’activité des DOM (31 mai – 30 juin 2010) ; f) Droit à restitution des impositions en fonction du revenu - Commentaire des aménagements législatifs du « bouclier fiscal » intervenus en 2009 (14 – 31 mai 2010) ; g) Crédit d’impôt sur le revenu au titre des intérêts d’emprunt des crédits immobiliers – « verdissement » graduel du dispositif (1er – 21 juin 2010).

4. Extrêmement intéressante, cette nouvelle pratique appelle trois observations : a) loin d’être systématique, la mise en consultation publique des projets d’instructions ne concernera que les instructions fiscales les plus importantes. C’est ainsi que, entre le 16 avril et le 12 juin 2010, une quinzaine d’instructions fiscales ont été publiées en dehors de cette procédure nouvelle ; b) manifestement, la consultation publique ralentit considérablement la procédure d’édiction des instructions. C’est ainsi que les instructions définitives relatives, d’une part, au nouveau commentaire général de l’art. L. 80 A du livre des procédures fiscales (opposabilité de la doctrine administrative) et des diverses dispositions relatives aux rescrits fiscaux et, d’autre part, à l’art. L. 64 du livre des procédures fiscales (nouvelle procédure de répression des abus de droit fiscaux) n’ont pas été publiées à ce jour alors, pourtant, que leur mise en consultation publique à pris fin, respectivement, en mai et septembre 2009 (à noter que, dans les deux cas, les projets d’instructions ne sont pas opposables à l’administration) ; c) sur le pan juridique, ce dispositif de mise en consultation publique présente des imperfections réelles : - les projets d’instructions qui en font l’objet portent la mention : « projet soumis à consultation opposable à l’administration jusqu’à publication de l’instruction définitive ». Cela étant, ils ne comportent pas de références précises, alors que leur date de publication ne peut qu’être déduite de celle de leur mise en consultation publique. Par ailleurs, les prescriptions du décret du 8 décembre 2008, modifié, ne sont pas respectées. Rappelons pour mémoire que ce texte (qui n’est pas, il est vrai, applicable aux projets d’instructions) prévoit que « les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services ... sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre NB : en pratique circulaires.gouv.f.... Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation. Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n’est pas applicable » (art. 1er). Notons à cet égard que les projets d’instruction soumis à consultation publique figurent seulement sur le site impot.gouv.fr ; - dans un souci de renforcer la sécurité juridique et les bonnes conditions d’accès au droit, il aurait été préférable de retenir une solution différente qui – plus simple – aboutit à un résultat équivalent et moins discutable sur le plan juridique : prévoir, en matière fiscale, que les instructions publiées – avec toutes les références adéquates et dans le respect des prescriptions du décret du 8 décembre 2008 – présentent, dans la phase de consultation publique, un caractère provisoire.

Olivier Négrin Professeur de Droit public Université Lumière Lyon 2