Soc. 22 sept. 2010, FS-P+B, n° 09-60.410 : La mise en place, prévue par un accord collectif d'entreprise, d'un groupement intitulé section syndicale nationale mais qui ne correspond pas à l'institution de la section syndicale prévue par l'article L. 2142-1 du code du travail peut demeurer réservée aux seules organisations syndicales représentatives malgré l'évolution des conditions de mise en place de cette dernière résultant de la loi du 20 août 2008.

Délicate mission que celle de la Cour de cassation qui, en présence de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et du temps de travail, doit appliquer le droit conventionnel antérieur relatif à l'exercice du droit syndical. Confrontée à des accords collectifs s'appuyant largement sur le concept de représentativité, la chambre sociale doit par ailleurs gérer les situations dans lesquelles des dispositions ont été prévues par les partenaires sociaux pour le délégué syndical en tant qu'animateur de la section syndicale mais pas - en toute logique, celui-ci n'existant que depuis 2008 - pour le représentant de cette section (not. en dernier lieu, Soc. 26 mai 2010, Dr. soc. 2010. 1002, obs. F. Petit). L'arrêt du 22 septembre 2010 présentement analysé témoigne une fois encore de la difficulté inhérente à l'évolution législative précitée.

Un accord d'entreprise précisait depuis 1984 les modalités d'exercice du droit syndical dans la structure (qui compte de nombreux établissements). Outre la référence aux délégués syndicaux d'établissement, il reconnaît la possibilité aux cinq syndicats représentatifs de l'entreprise de désigner un délégué syndical national et précise les moyens dont doivent disposer les cinq sections syndicales nationales. Se fondant sur cet accord, un syndicat - qui n'arguait pas d'une quelconque représentativité à ce niveau - procéda à la désignation d'un représentant de section syndicale au niveau national sur l'ensemble de l'entreprise. Contestée tant par l'employeur que par les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise, cette désignation fut annulée par le tribunal d'instance, compétent en la matière (art. L. 2142-1-2 et L. 2143-8 c. trav.).

Le syndicat auteur de la désignation du représentant de section syndicale se fondait sur un raisonnement simple. La loi du 20 août 2008 ayant supprimé la condition de représentativité pour constituer une section syndicale, les sections syndicales nationales envisagées par l'accord de 1984 devaient pouvoir être constituées par toute organisation syndicale répondant aux nouvelles conditions légales abordées par l'article L. 2142-1 du code du travail (syndicat représentatif, syndicat affilié à une organisation représentative au niveau national interprofessionnel ou syndicat bénéficiant de la « petite représentativité » suivant la formule consacrée). S'ensuivait la possibilité pour cette organisation syndicale de mettre en place un représentant de section au titre de l'article L. 2142-1-1 pour l'animer. La solution inverse aurait conduit selon ce syndicat à une rupture d'égalité entre les syndicats et à une discrimination, allant à l'encontre de la loi nouvelle. Il s'agissait ainsi pour le syndicat d'une transposition de la nouvelle législation sur la présence syndicale dans l'entreprise à la section syndicale nationale et au délégué syndical national envisagés par l'accord d'entreprise de 1984.

La Cour régulatrice ne s'oppose pas au raisonnement dans son principe. Néanmoins, son analyse conduit au rejet du pourvoi formé par le syndicat auteur de la désignation. Pour cela, elle relève que la « section syndicale » dont il est question dans l'accord de 1984 n'est pas une section syndicale au sens du code du travail mais une autre institution, distincte, permettant de donner aux salariés une représentation supplémentaire à celle prévue par la loi. En effet, le texte de l'accord collectif d'entreprise fait apparaître l'existence de délégués syndicaux dans le cadre des établissements de l'entreprise. Dans cette situation, les sections syndicales qu'ils animent sont également mises en place au niveau de l'établissement, pour être au plus près des intérêts des salariés (rappelons que le rôle de la section syndicale est la représentation des intérêts matériels et moraux de ses membres en vertu de l'art. L. 2142-1 c. trav.). Le code du travail ne prévoit alors pas de section syndicale centrale, au niveau de l'entreprise, même si un délégué syndical central d'entreprise est envisageable (art. L. 2143-5).

Les juges du droit relèvent ainsi qu'il y a une différence entre la section syndicale nationale de l'accord et la section syndicale légale. Aucune section syndicale centrale, nationale, n'ayant vocation à être créée en vertu des dispositions du code du travail, l'institution envisagée par l'accord ne peut qu'être qualifiée d'extra-légale et il n'y a pas lieu de lui appliquer les règles en vigueur à l'issue du vote de la loi du 20 novembre 2008 au sujet de la section syndicale, notamment celles permettant la mise en place d'un représentant de cette section. C'est un avantage supplémentaire que met en place l'accord en cause. Quant au point relatif à la possibilité, pour une convention collective, de prévoir des dispositions spécifiques pour les seuls syndicats représentatifs, la solution de la Cour de cassation est relativement classique. On peut effectivement y lire que « ne méconnaît pas le principe constitutionnel d'égalité la disposition d'un accord collectif, plus favorable que la loi, qui subordonne l'octroi d'avantages à des syndicats à une condition de représentativité ». Le principe constitutionnel d'égalité bénéficie aux personnes morales (Cons. const. 22 juill. 1980, n° 80-117 DC). Les différences de traitement fondées sur la représentativité des syndicats sont néanmoins admises et ce critère objectif est tout particulièrement utilisé au niveau législatif pour distinguer entre les prérogatives syndicales (not. Pélissier, Supiot et Jeammaud, Droit du travail, 24e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2008, § 809 ; V. aussi Verdier, Liberté et égalité : le pluralisme syndical à l'épreuve des accords collectifs relatifs à l'exercice du droit syndical, in Le droit collectif du travail, Questions fondamentales - Évolutions récentes. Études en hommages à Mme le rofesseur H. Sinay, éd. Peter Lang, 1994, p. 69 et spéc. p. 82). L'institution syndicale, qualifiée de section syndicale nationale, prévue par l'accord de 1984 en l'espèce pouvait ainsi légitimement être réservée aux seules organisations pouvant se prévaloir d'une représentativité nationale dans l'entreprise.

J. Cortot

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Sources :

Soc. 22 sept. 2010, FS-P+B, n° 09-60.410