CEDH 14 oct. 2010, Brusco c. France, n° 1466/07 : Dès lors que les autorités disposaient d'éléments matériels de nature à suspecter le requérant d'avoir participé à l'infraction, l'argument selon lequel il n'a été entendu que comme témoin est purement formel, et l'obligation de prêter serment de « dire toute la vérité » lors de son audition en garde à vue sur commission rogatoire a porté atteinte à son droit de ne pas s'auto-incriminer.

Il est une question déterminante en procédure pénale, qui est celle de la délimitation entre les différents degrés d'implication des personnes mises en cause, et, notamment, celle consistant à savoir à partir de quand un individu doit être considéré comme suspect. Pour la Cour européenne des droits de l'homme, le seuil décisif est, on le sait, l'« accusation en matière pénale ». Ainsi, dès que la personne est considérée comme accusée en matière pénale, l'ensemble des garanties de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme entre en application. Dans l'affaire Brusco, il s'agissait d'une personne entendue comme témoin mais retenue en garde à vue en vertu des dispositions des articles 153 et 154 du code de procédure pénale (commission rogatoire du juge d'instruction).

Il convient d'emblée de noter que les faits sont antérieurs à la modification législative du 9 mars 2004 (L. n° 2004-204), qui a ajouté, à l'article 153, un alinéa qui prévoit désormais que l'obligation de prêter serment et de déposer n'est pas applicable aux personnes gardées à vue sur commission rogatoire d'un juge d'instruction. Auparavant, cependant, ces personnes pouvaient tout d'abord être entendues comme témoins, avec obligation de prêter serment de « dire toute la vérité, rien que la vérité » et obligation de déposer, puis être mises en examen, notamment sur la base des déclarations faites. Ce qui suscitait bien évidemment des difficultés en termes de violation du droit de ne pas participer à sa propre incrimination (CEDH 8 févr. 1996, John Murray c. Royaume-Uni, Rec. 1996-I). Et c'est bien, en l'espèce, ce qui était reproché à la procédure interne.

La chambre criminelle décide en effet, selon une jurisprudence constante, qu'il résulte des dispositions combinées des articles 105, 113-1, 153 et 154 du code de procédure pénale, qui ne sont pas contraires à l'article 6 de la Convention, qu'une personne placée en garde à vue sur commission rogatoire du juge d'instruction est entendue par l'officier de police judiciaire après avoir prêté le serment prévu par la loi, dès lors qu'il n'existe pas, à son encontre, des indices graves et concordants d'avoir participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi ou qu'elle n'est pas nommément visée par un réquisitoire introductif (Crim. 14 janv. 2003, Bull. crim. n° 6 ; D. 2003. IR 944Document InterRevues ; JCP 2003. IV. 1528, ou, très récemment, 8 avr. 2010, n° 03-80.508, Dalloz jurisprudence). C'est aussi ce qui avait été décidé par la haute juridiction pour le requérant.

La Cour de Strasbourg avait, quant à elle, jugé en 1997 que « si l'obligation mise à la charge du témoin de prêter serment et les sanctions prononcées en cas de non-respect relevaient d'une certaine coercition, celle-ci visait ainsi à garantir la sincérité des déclarations faites, le cas échéant, au juge, et non à obliger l'intéressé à déposer » (CEDH 20 oct. 1997, Serves c. France, § 47, Rec. 1997-VI, JCP 1998. I. 107, obs. Sudre). Le droit de se taire n'était donc pas atteint. Au contraire, elle juge ici qu'il y a bien eu violation de l'article 6, car le fait d'avoir dû prêter serment avant de déposer, et le risque de poursuites pénales en cas de témoignage mensonger ont bien constitué pour le requérant une forme de pression. En effet, dès son interpellation et son placement en garde à vue, les autorités disposaient, selon la Cour, de raisons plausibles de soupçonner que le requérant était impliqué dans la commission de l'infraction sur laquelle elles enquêtaient (la victime avait déposé plainte contre son épouse et le requérant avait déjà été entendu par les services de police à ce sujet) ; partant, l'argument selon lequel le requérant n'avait été entendu qu'à titre de témoin est jugé « purement formel ».

Une satisfaction équitable est donc octroyée, qui devrait néanmoins être la dernière à ce sujet pour notre pays dans la mesure où, comme il a été dit plus haut, les dispositions légales ont été modifiées en 2004. N'en demeure pas moins l'actualité de la question de fond, sur la délimitation du seuil de suspicion, que l'on pourrait par exemple poser au sujet du projet de réforme de la garde à vue et de la création de l'audition libre du suspect… (sur la présentation en conseil des ministres, V. Dalloz actualité, 15 oct. 2010, obs. LavricDocument Actualité). De même, les magistrats de la Cour européenne en ont profité pour rappeler quelques « fondamentaux » en matière de garde à vue aux paragraphes 45 et 54 de la décision : l'avocat doit assister l'intéressé dès le début de la mesure et pendant les interrogatoires pour que la mesure soit conforme aux dispositions de l'article 6 de la Convention européenne. Les magistrats de la Cour de cassation ont bien reçu le message (V. Crim. 19 oct. 2010, Dalloz actualité, 21 oct. 2010, obs. LavricDocument Actualité) !

M. Léna

Dalloz actualité © Editions Dalloz 2010

Sources :

CEDH 14 oct. 2010, Brusco c. France, n° 1466/07

Article "Condamnation de la garde à vue : la CEDH s’y met aussi " paru le 15 octobre 2010 sur village-justice.com

Communiqué de presse de la CEDH

Article "La garde à vue en sursis. La France condamnée pour violation des règles du procès équitable" paru le 14 octobre 2010 sur cnb.avocat.fr