À l'occasion d'un colloque organisé pour le 10e anniversaire du tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui s'est tenu le 24 novembre dernier, le vice-président du Conseil d'État, Jean-Marc Sauvé, dans un discours de synthèse (en collaboration avec Timothée Paris, conseiller de TA et de CAA, chargé de mission auprès de Jean-Marc Sauvé) a rappelé à l'appui de quelques chiffres l'ampleur considérable pris par le contentieux administratif devant le Conseil d'État : 20 000 requêtes enregistrées en 1970 ; plus de 172 000 en 2009. Depuis une quarantaine d'années, le contentieux administratif augmente en moyenne de 6 % par an et double presque tous les ans.

Le contentieux de masse donc, que le vice-président qualifie « d'authentique ou de véritable » procède de l'accumulation de requêtes individuelles contre des décisions fondées sur une interprétation unique de la loi, erronée ou perçue comme telle. Pour autant, la justice administrative n'a « jamais » renoncé à répondre au droit de chacun de voir sa demande traitée de manière individuelle. Et justement, comment « concilier, d'une part, le droit fondamental de chaque justiciable de voir sa cause entendue individuellement et complètement par un juge, avec le caractère répétitif, voire sériel, des requêtes qui est le propre des contentieux de masse ? » Cette question, selon Jean-Marc Sauvé, transparaît notamment dans les réflexions qui conduisent la juridiction administrative à proposer la création d'une action en déclaration collective de droits (V. le rapport du groupe de travail sur l'action collective en droit administratif, mai 2009) ; elle est par ailleurs présente, au quotidien, dans les évolutions non de procédure, mais d'organisation du travail, qui ont conduit à créer et renforcer l'aide à la décision.

Le vice-président se pose aussi la question de la conciliation entre le traitement des contentieux de masse dont les délais de réponse du juge sont imposés par le législateur et l'« impérieux devoir » de continuer à traiter les autres contentieux dans des délais raisonnables et en conservant un haut niveau de qualité. Le « contentieux de masse » est en effet un « contentieux humain » qui a trait à la reconnaissance de droits dits sociaux (DALO, RSA, etc.). Ce contentieux implique des « enjeux immédiats et importants » pour les requérants. C'est ce contentieux, et notamment celui relatif aux étrangers, qui a contribué à l'appropriation par le juge administratif d'une culture de l'urgence qui a trouvé un aboutissement dans la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 portant réforme des procédures d'urgence .

Autre point important souligné par Jean-Marc Sauvé, « le défi des contentieux de masse a également contribué à modifier la perception qu'avait la justice administrative des décisions qu'elle rend, dans le sens d'une vision plus concrète de la chose jugée ». Certains « arbitrages jurisprudentiels » adoptés dans les contentieux de masse l'attestent ; il en est ainsi de la « possibilité ouverte au juge de pratiquer d'office une substitution de base légale tout comme celle ouverte à l'administration de demander une substitution de motifs permettent d'éviter les annulations dites « blanches », dont le seul effet serait de conduire l'Administration à reprendre une nouvelle décision, identique à celle qui a été initialement attaquée et annulée. »

Ces contentieux, conclut le vice-président du Conseil d'État, ont également contribué à rapprocher la justice administrative des justiciables, en la rendant plus accessible, une « justice démocratique » étant en effet « une justice accessible à tous ».



Sources :

Jean-Marc Sauvé, 24 nov. 2010, discours