Par un arrêt du 18 novembre 2010, la Cour européenne des droits de l'homme condamne la France pour l'insuffisance des mesures prises dans l'exécution d'un jugement étranger portant sur une pension alimentaire.

Dans son arrêt Romanczyk contre France du 18 novembre 2010, la Cour européenne des droits de l'homme estime que les autorités françaises n'ont pas déployé des efforts suffisants pour assister la requérante dans l'exécution d'un jugement et le recouvrement de ses créances alimentaires.

La requérante et son ex-mari, tous deux ressortissants polonais, ont deux enfants. Leur jugement de divorce, prononcé par une juridiction polonaise en 1999, avait condamné le père au paiement d'une pension alimentaire. Ce dernier, résidant en France, n'avait pas versé cette pension ; la requérante s'était alors prévalue de la Convention de New York du 20 juin 1956 sur le recouvrement des aliments à l'étranger (sur ce texte, V. Muir-Watt et Bureau, Droit international privé, PUF, 2010). Le débiteur, entendu en 2004 par les services de police français, s'était engagé à verser la pension, ce qu'il ne fit cependant pas. La requérante s'était alors plainte auprès des autorités polonaises de l'absence de progrès dans la procédure de recouvrement. En janvier 2005, un courrier d'information avait été transmis aux autorités françaises, resté sans suite. Toutefois, en décembre 2008, après réception du courrier de la Cour européenne des droits de l'homme leur communiquant la requête, les autorités françaises avaient relancé la procédure de recouvrement. L'ex-mari avait notamment été entendu par la police et les autorités françaises avaient informé la requérante et ses enfants, entre autres, de la phase judiciaire et de l'aide juridictionnelle qu'ils pouvaient solliciter. En février 2010, les enfants avaient obtenu l'aide juridictionnelle totale dans le cadre d'une action en exequatur d'un jugement de 2003 ayant réévalué la pension alimentaire.

Devant la Cour de Strasbourg, la requérante se plaignait de n'avoir pu obtenir des autorités françaises saisies sur le fondement de la Convention de New York l'exécution du jugement polonais lui accordant le droit à versement d'une pension alimentaire. Le 18 novembre 2010, la Cour rappelle tout d'abord que l'exécution d'une décision de justice doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, lequel s'applique donc également à cette phase de la procédure (V. not. CEDH 19 mars 1997, Hornsby c. Grèce, Rec. CEDH, p. II-1997, D. 1998. Jur. 74, note Fricero ; RTD civ. 1997. 1009, obs. Marguénaud ). Elle relève ensuite l'obligation positive qui pèse sur les États de mettre en place un système effectif, en pratique comme en droit, assurant l'exécution des décisions judiciaires définitives entre personnes privées. En effet, si dans le système de la Convention, la responsabilité des Etats ne peut être engagée du fait du défaut de paiement d'une créance exécutoire dû à l'insolvabilité d'un débiteur privé, elle peut l'être si les autorités impliquées dans les procédures d'exécution manquent de diligence ou empêchent l'exécution.

Or, les juges de Strasbourg soulignent dans un premier temps que la Convention de New York (art. 6) fait peser une obligation positive d'assistance sur l'État du débiteur. La Cour, qui relève l'enjeu particulièrement important de l'espèce pour la requérante, estime donc, conformément à sa jurisprudence, qu'en recourant au mécanisme de la Convention de New York, l'épouse bénéficiait du droit de voir son jugement exécuté avec l'assistance des autorités françaises. La Cour examine alors dans un second temps si les mesures prises par les autorités françaises afin d'assister la requérante dans l'exécution du jugement ont été adéquates et suffisantes. À cet égard, elle note que les autorités n'ont pas donné suite à la lettre de janvier 2005, dans laquelle la juridiction polonaise les informait de ce que le débiteur ne s'acquittait pas de ses obligations et sollicitait de leur part le recouvrement effectif de la pension. Elle estime que si une erreur de classement a pu être commise par l'administration, comme le soulève le gouvernement français, elle ne saurait être opposée à la requérante et relève de la seule responsabilité des autorités françaises. De plus, elle relève que cette erreur s'est accompagnée d'un manque de diligence de la part des autorités qui auraient pu, soit constater par elles-mêmes la défaillance du débiteur, soit relancer l'autorité expéditrice. Ces diligences les auraient certainement conduites à corriger « l'impair administratif » et à poursuivre la procédure en recouvrement.

La Cour estime donc que les autorités françaises n'ont pas déployé des efforts suffisants pour assister la requérante dans l'exécution du jugement et le recouvrement de ses créances alimentaires et conclut à la violation de l'article 6, § 1, de la Convention.

La Cour trouve non seulement dans cet arrêt l'occasion de rappeler que la phase d'exécution est bien couverte par la protection de l'article 6 de la Convention, mais elle réaffirme également les obligations positives des États qui découlent de la Convention européenne et, en l'espèce, de la Convention de New York. Cela avait déjà été le cas à l'occasion notamment d'une décision de 2008 (CEDH 4 nov. 2008, Dinu c. Roumanie et France, n° 6152/02, Dalloz actualité, 12 nov. 2008, obs. V. Egéa ) par laquelle la CEDH avait condamné la France pour violation de l'article 6, § 1, de la Convention du fait de ses lenteurs administratives à compléter un dossier d'exéquatur pour l'exécution d'une décision de versement d'une pension alimentaire.

C. Schurrer

Dalloz actualité © Editions Dalloz 2011, 06/12/2010

Sources

CEDH 18 nov. 2010, Romanczyk c/ France, n° 7618/05

Droit à être entendu dans un délai raisonnable, Bulletin du Barreau de Paris, 6 décembre 2010, n°41