Par un arrêt du 13 janvier 2011 concernant l'Allemagne, la Cour européenne des droits de l'homme estime justifiée la condamnation pour diffamation de deux militants qui avaient comparé la pratique de l'avortement à l'Holocauste.



En octobre 2007, les requérants distribuèrent, devant un centre médical de Nuremberg pratiquant des avortements, un tract qualifiant l'un des praticiens de « tueur professionnel » et comportant le message suivant : « hier l'Holocauste, aujourd'hui, le Bébécauste » (damals : Holocaust heute : Babycaust). Une plainte pour diffamation fut déposée par la municipalité. Les requérants furent condamnés par le tribunal régional. La Cour constitutionnelle fédérale infirma partiellement ce jugement, en retenant cependant que le slogan relatif à l'Holocauste portait gravement atteinte aux droits de la personnalité du médecin. Deux amendes de 100 € furent finalement prononcées.

Devant la Cour européenne, les requérants se plaignaient d'une violation de leur droit à la liberté d'expression (art. 10), ainsi que de la durée excessive de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale (art. 6, § 1). Sur l'article 10, la Cour de Strasbourg note d'abord que la condamnation pour diffamation, qui a porté atteinte à la liberté d'expression des requérants, était prévue par la loi et visait un but légitime : la protection de la réputation ou des droits d'autrui (§ 41-42). Sur le caractère nécessaire de l'ingérence dans une société démocratique, elle relève ensuite que les juridictions internes ont admis, à l'exception de la formule relative à l'Holocauste, que les éléments figurant sur le tract étaient des éléments acceptables du débat public (§ 45), et que la Cour constitutionnelle a pris soin de rechercher toutes les interprétations qui pouvaient être données au slogan litigieux (§ 43). Elle observe alors que « l'impact de l'expression d'une opinion sur les droits de la personnalité d'un tiers est indissociable du contexte historique et social dans lequel elle s'inscrit », et que « la référence à l'Holocauste doit être envisagée dans le contexte spécifique du passé de l'Allemagne » (§ 48). Elle conclut que, devant une « violation très grave des droits du médecin », les juridictions internes ont ménagé un juste équilibre entre le droit à la liberté d'expression et les droits de la personnalité (§ 49). Les motifs avancés justifient l'ingérence, qui pouvait donc passer pour « nécessaire dans une société démocratique », la sanction prononcée, peu sévère, apparaissant, en outre, proportionnée. Au regard de ces éléments et de la marge d'appréciation des États, la Cour estime qu'il n'y a pas eu violation de l'article 10 (ibid.). Ce faisant, elle confirme l'analyse faite par les juridictions nationales du contenu du tract et la distinction, faite par elles, entre les éléments relevant de la liberté de communiquer des informations et des idées et ceux excédant les limites admissibles de la liberté d'expression en raison de leur extrême violence et du contexte dans lequel ils s'inscrivaient.

Soucieuse de permettre l'expression d'opinions et d'informations de tous ordres, la jurisprudence européenne protège les propos tenus par des particuliers qui prennent la forme d'un discours politique (pour l'expression d'une militante anti-avortement en période électorale, V. CEDH 19 févr. 1998, Bowman c. Royaume-Uni, Rec. CEDH 1998-I, § 42 ; F. Sudre et alii, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, « Thémis-droit », PUF, 5e éd., 2009, p. 638), mais dans la mesure où ceux-ci, notamment, n'incitent pas à la violence ou à la haine (CEDH 4 juin 2002, Yagmurdereli c. Turquie, § 49-54, pour la condamnation d'un écrivain pour un discours estimé séparatiste ; jugeant que les termes utilisés doivent demeurer « dans les limites de l'exagération ou de la provocation admissibles », V. CEDH 22 nov. 2007, Desjardin c. France, § 48 et 50).

En ce qui concerne la durée de la procédure suivie devant la Cour constitutionnelle fédérale - de six ans et demi, alors qu'un seul degré de juridiction était concerné -, elle est, en revanche, jugée excessive et contraire à l'article 6, § 1 (§ 57).

S. Lavric
Dalloz actualité © Editions Dalloz 2011

Sources

CEDH 13 janv. 2011, Hoffer et Annen c. Allemagne, nos 397/07 et 2322/07

Liberté d’expression et tracts anti-avortement : des références au passé qui ne passent pas, Actualités droits-libertés, par Nicolas HERVIEU, 14 janv. 2011