La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) s'est prononcée, le 3 février 2011, à l'occasion d'un litige ayant originellement opposé un salarié allemand à son employeur, sur la question du licenciement en raison des opinions religieuses du salarié.

Les faits de l'espèce étaient simples : une assistante maternelle engagée dans une halte-garderie puis un jardin d'enfants géré par une paroisse protestante a été licenciée en raison de son engagement actif au sein d'une autre communauté religieuse. Le licenciement ayant été déclaré justifié par les juridictions allemandes du travail, la salariée a attrait son État national devant la CEDH laquelle, à l'unanimité, a conclu à la non-violation de l'article 9 (droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion) de la Convention européenne des droits de l'homme (Conv. EDH). L'affaire n'est pas sans rappeler les deux décisions rendues par la même cour, le 23 septembre 2010 (V. Dalloz actualité, 1er oct. 2010, obs. Astaix ) opposant, déjà, deux salariés allemands d'organisations religieuses à l'État allemand, sur la question de l'articulation entre vie privée et impératifs professionnels (il s'agissait cependant de liberté sexuelle).

Aux yeux de la cour, l'intéressée était ou devait être consciente, lors de la signature de son contrat de travail, du fait que son appartenance à une communauté religieuse dénommée Église universelle/Fraternité de l'humanité, pour laquelle elle donnait des cours de catéchisme, était incompatible avec son engagement dans l'Église protestante (V., mutatis mutandis, Ahtinen c. Finlande, 23 sept. 2008, n° 48907/99, § 41). Ainsi, le licenciement fondé sur un comportement adopté en dehors de la sphère professionnelle ne saurait être remis en cause puisque « la nature particulière des exigences professionnelles imposées résulte du fait qu'elles ont été établies par un employeur dont l'éthique est fondée sur la religion ou les convictions » (V. dir. n° 78/2000/CE et arrêts Schüth et Obst du 23 sept. 2010, Dalloz actualité préc.). À cet égard, la cour estime que les juridictions allemandes ont suffisamment démontré que les obligations de loyauté étaient acceptables en ce qu'elles avaient pour but de préserver la crédibilité de l'Église protestante à l'égard du public et des parents des enfants du jardin d'enfants (V., mutatis mutandis, arrêt Obst préc).

Bien que l'espèce se déroule en Allemagne, qui ne connaît pas de réelle séparation entre l'État et l'Église, et que les juridictions du travail d'outre-Rhin admettent traditionnellement que le salarié œuvrant pour une congrégation religieuse ou une organisation fondée sur la religion ou les convictions puisse se voir imposer une réduction de ses droits et libertés en la matière, il ne nous semble pas que cette décision soit, a priori, intransposable en France. En effet, le juge français admet, lui aussi, une telle atteinte à la condition que le comportement du salarié cause un trouble dans l'entreprise compte tenu de la finalité de celle-ci et des fonctions exercées par le salarié (Paris, 29 janv. 1992, D. 1992. IR 125 ; Soc. 17 avr. 1991, D. 1991. IR 140 ; RTD civ. 1991. 706, obs. J. Hauser ; et pour l'arrêt initial cassé, Paris, 30 mars 1990, D. 1990. Jur. 596, note Villacèque ). On soulignera, d'ailleurs, que la prise en compte des fonctions est également un moyen d'appréciation du juge strasbourgeois lequel exige que « soit procédé à une mise en balance effective des intérêts en jeu à l'aune du principe de proportionnalité » (req. n° 1620/03, § 69). Le trouble doit, de surcroît, être objectif (Soc. 30 juin 1992, n° 89-43.840, Dalloz jurisprudence).

S'il est difficile de s'y retrouver dans le dédale textuel, que ceux-ci soient internationaux (art. 10 et 18 DDH ; art. 18 du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques ; art. 6 de la Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction ; art. 9 Conv. EDH...) ou nationaux (Préambule de la Constitution de 1946 et art. 1er de la Constitution de 1958 ; art. 1er L. du 9 déc. 1905 ; art. 9 c. civ. ; art. L. 1132-1 c. trav.), lesquels prohibent tous, à des degrés divers, les atteintes à la liberté de pensée, de conscience et de religion, il est cependant une constante selon laquelle la restriction à la liberté individuelle est tout à fait tolérable - et tolérée - lorsque la liberté religieuse s'exprime (on notera la nuance entre liberté de religion et droit d'expression de celle-ci), en causant un trouble, sur le lieu même du lieu de travail (s'agissant du foulard islamique, V. Saint-Denis de la Réunion, 9 sept. 1997, D. 1998. Jur. 546, note S. Farnocchia ; RTD civ. 1999. 62, obs. J. Hauser ; Paris, 16 mars 2001, RJS 11/01, n° 1252 ; JCP E 2001, p. 1339, note C. Puigelier ; V. égal., tout récemment, au sujet du cas de la crèche Baby-loup, J.-D. Dreyfus, Aujourd'hui l'école, demain les crèches : réflexions sur les « espaces de neutralité » dans la République, blog Dalloz, 10 janv. 2011).

A. Astaix
Dalloz actualité © Editions Dalloz 2011, 15 fév. 2011

Sources

CEDH 3 févr. 2011, Siebenhaar, n° 18136/02

Tu ne pourras servir deux maîtres en même temps : liberté de religion du salarié vs. autonomie des communautés religieuses, Actualités Droits-Libertés, 8 février 2011, par Nicolas Hervieu