Cass. com. 13 juillet 2010 n° 09-16.103 (n° 782 F-D), Coutté c/ Coutté

Cass. com. 13 juillet 2010 n° 09-16.102 (n° 781 F-D), Coutté c/ Coutté

Cass. com. 13 juillet 2010 n° 09-16.100 (n° 779 F-PB), Coutté c/ Coutté

Une décision ordinaire ne peut pas affecter à un usage hôtelier un bâtiment de ferme de société agricole. Mais elle peut remplacer des cogérants par un seul gérant lorsque les statuts prévoient que « un ou plusieurs gérants » sont nommés par une telle décision.

1. La cour d'appel de Paris avait eu à trancher, on le rappelle, un différend survenu entre deux sœurs et un frère à l'occasion de la gestion d'une société civile agricole qu'ils avaient constituée ; cette société, dont les deux sœurs détenaient ensemble plus de la moitié du capital social, avait pour objet l'exploitation d'une ferme ou de tout fonds rural pouvant être pris à bail par la société et, généralement, toute opération pouvant se rattacher directement à cet objet pourvu qu'elle ne modifie pas le caractère civil de la société. Malgré cet objet, les associés avaient affecté plusieurs bâtiments de la ferme à l'exploitation d'une activité commerciale d'hôtellerie et de réception du public.

La société était cogérée par le frère et l'une des sœurs mais, à la suite de dissensions apparues entre eux, une décision d'assemblée ordinaire avait désigné cette dernière comme gérante unique. Une autre décision, elle aussi prise par une assemblée ordinaire, avait affecté un bâtiment de la ferme à l'activité hôtelière. Le frère avait demandé l'annulation de ces décisions ; selon lui, elles auraient dû être votées aux conditions de majorité prévues pour la modification des statuts (trois quarts des parts) et non à la majorité simple. Il avait aussi engagé une action en dissolution de la société pour mésentente.

2. La cour d'appel avait accueilli ces demandes par plusieurs décisions du même jour (CA Paris 17 juin 2009 n° 07-11970, 07-11971 et 07-11972 : BRDA 18/09 inf. 27). Sur pourvoi formé par les deux sœurs, la Cour de cassation a confirmé l'annulation de la décision de changement d'affectation du bâtiment mais elle a cassé l'arrêt ayant annulé la désignation de la sœur comme gérante unique et celui ayant accueilli l'action en dissolution (Cass. com. 13 juillet 2010, trois arrêts : n° 09-16.100 F-PB, 09-16.102 F-D et 09-16.103 F-D).

Changement d'affectation du bâtiment

3. Comme la cour d'appel de Paris, la Cour de cassation relève que la décision de changement d'affectation du bâtiment - le dernier non encore affecté à l'exploitation hôtelière - portait atteinte au caractère civil de l'objet social et aurait dû être prise aux conditions prévues pour la modification des statuts (arrêt n° 09-16.100). En effet, alors que l'objet social était exclusivement agricole, l'activité agricole de la société avait progressivement régressé au profit de l'activité hôtelière de nature commerciale qui consistait, sur toute l'année, à proposer des réceptions privées et des séminaires, à organiser ponctuellement des concerts et à louer des chambres. Cette activité représentait les deux tiers du chiffre d'affaires. Les bâtiments n'avaient plus aucune vocation agricole et constituaient un ensemble hôtelier à part entière. La décision d'assemblée litigieuse avait achevé de faire de l'activité hôtelière l'activité prépondérante de la société.

4. Les deux sœurs s'étaient prévalues de l'article L 311-1 du Code rural, qui qualifie d'agricoles les activités exercées par un exploitant dans le prolongement de l'acte de production ou ayant pour support l'exploitation ; elles avaient fait valoir qu'en mettant en valeur une partie du corps de ferme et en le louant à des tiers, la société, qui exploitait par ailleurs près de 120 ha de terres, avait réalisé une activité agricole. La Cour de cassation a jugé au contraire que les prestations d'hôtellerie fournies à titre habituel étaient dépourvues de lien avec une telle activité et n'avaient pas pour support l'exploitation.

Cette solution s'inscrit dans la ligne de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation en matière de protection sociale, selon laquelle la seule localisation des activités exercées sur l'exploitation (camping, gîte rural, etc.) ne suffit pas à leur conférer un caractère agricole : encore faut-il qu'elles consomment ou utilisent majoritairement des produits issus de l'activité agricole (Cass. soc. 21-11-1996 : Bull. civ. V n° 398). Une activité d'hébergement, telle celle de l'espèce, ne saurait donc être qualifiée d'agricole.

Désignation du gérant

5. La clause statutaire sur la gérance prévoyait que la société était « quant à présent » administrée par le frère et la sœur nommément désignés « en qualité de cogérants ». Une mention manuscrite par renvoi en marge précisait également que la signature d'un seul gérant était suffisante « pour les opérations courantes et d'administration n'excédant pas 10 000 F, celles excédant ce chiffre ainsi que toutes opérations plus importantes ne pouvant être prises que sur la signature des deux gérants ».

La cour d'appel de Paris en avait déduit que les associés avaient institué une cogérance et qu'ils ne pouvaient la remplacer par une gérance unique qu'en modifiant les statuts.

6. Ce raisonnement est censuré par la Cour suprême : la clause statutaire sur la gérance indiquait aussi, en des termes clairs et précis , que « la société est administrée par un ou plusieurs gérants pris parmi les associés et nommés par décision ordinaire » (arrêt n° 09-16.102). Point donc n'était besoin de modifier les statuts pour nommer un gérant unique en remplacement des cogérants.

Dissolution de la société pour mésentente

7. La Cour de cassation a cassé l'arrêt ayant fait droit à la demande de dissolution pour mésentente (C. civ. art. 1844-7, 5°) car la cour d'appel avait justifié la mesure par l'irrégularité de la désignation de la sœur comme gérante unique. Or, comme nous venons de le voir (n° 6), cette désignation était valable.

La cour d'appel avait aussi retenu à tort que la mésentente actuelle était de nature à paralyser le fonctionnement de la société en ce qu'elle devait empêcher tout accord des cogérants sur les décisions importantes, faire obstacle à l'obtention de la majorité requise pour toute décision extraordinaire et entraîner systématiquement des recours en justice de la part du frère, qui détenait presque 50 % des parts sociales, pour contester les décisions ordinaires. Mais, relève la Cour de cassation, ces motifs sont impropres à établir une mésentente paralysant le fonctionnement actuel de la société (arrêt n° 09-16.103). Tout au plus caractérisent-ils une paralysie à venir, mais qui reste hypothétique, de sorte que la dissolution ne pouvait pas être prononcée.

Auteur : Editions Francis Lefebvre

Pour accéder au site des Editions Francis Lefebvre, cliquez ici