Cass. ch. mixte 19 novembre 2010 n° 10-10.095 (n° 268 PBRI), Sté Whirlpool France c/ Jessaume Cass. ch. mixte 19 novembre 2010 n° 10-30.215 (n° 269 PBRI), Sté ED c/ Pellerin

Il est mis fin aux incertitudes créées par certaines cours d’appel sur la validité des délégations du pouvoir d’embaucher et de licencier dans les SAS : ces délégations sont possibles et ne sont soumises à aucune condition de forme particulière.

Si la société par actions simplifiée (SAS) est représentée à l’égard des tiers par son président et, lorsque les statuts le prévoient, par un directeur général ou un directeur général délégué (C. com. art. L 227-6) dont la nomination est soumise à publicité, « cette règle n’exclut pas la possibilité, pour ces représentants légaux, de déléguer le pouvoir d’accomplir des actes déterminés tels que celui d’engager ou de licencier des salariés ».

Ayant posé ce principe par deux arrêts du même jour, la Cour de cassation a censuré :

  • un arrêt d’appel qui, pour déclarer irrégulier un licenciement décidé par un DRH, avait retenu que ce licenciement n’émanait pas d’un directeur général nommé conformément aux statuts avec délégation du pouvoir de licencier (1e espèce) ;
  • un autre arrêt qui avait retenu que le licenciement devait émaner soit du président, soit de la personne autorisée par les statuts à recevoir délégation pour exercer le pouvoir de licencier, détenu par le seul président (2e espèce).

La Cour apporte aussi une précision attendue sur la forme de la délégation du pouvoir de licencier : aucune disposition n’exige qu’elle soit donnée par écrit ; elle peut être tacite et résulter des fonctions du salarié délégataire qui conduit la procédure de licenciement. Il en va ainsi pour un responsable des ressources humaines chargé de la gestion du personnel et considéré de ce fait comme délégataire du pouvoir de licencier (1e espèce).

à noter

1° Ces deux arrêts, dont les solutions vont soulager les praticiens et les fondateurs de SAS, lèvent définitivement tout doute sur l’application du droit commun de la délégation de pouvoir aux SAS, restaurant ainsi la sécurité juridique nécessaire au fonctionnement de ce type de société. Ils ont été rendus par une chambre mixte de la Cour de cassation composée de magistrats de la 2e chambre civile, de la chambre commerciale et de la chambre sociale.

En début d’année, nous faisions part de notre étonnement à la suite de plusieurs décisions d’appel annulant des licenciements de salarié de SAS décidés par le titulaire d’une délégation de pouvoirs non écrite, non prévue par les statuts ou non publiée au registre du commerce et des sociétés (RCS) (BRDA 4/10 inf. 20). Nous faisions alors remarquer qu’une telle délégation était valable car elle n’est ni interdite par l’article L 227-6 du Code de commerce, qui vise seulement le pouvoir de représentation de la société, ni soumise à des conditions « exotiques » comme sa mention dans les statuts ou sa publication au RCS. Même si la Cour suprême ne se prononce pas sur ce dernier point (l’arrêt d’appel faisant état de cette publicité n’ayant pas été soumis à l’examen de la Cour), l’application des règles communes de la délégation de pouvoir conduit à écarter la mention au RCS des délégations consenties dans les SAS.

Autre point important : la Cour de cassation reconnaît expressément aux directeurs généraux et directeurs généraux délégués à qui les statuts ont conféré le pouvoir de représenter la SAS la qualité de représentants légaux au même titre que le président, ce que nous pensons aussi (Mémento Sociétés commerciales n° 9610).

2° La précision sur la forme de la délégation s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la chambre sociale, pour qui, par exemple, le DRH d’une société mère peut être mandaté pour licencier un salarié d’une filiale sans qu’il soit nécessaire que la délégation de pouvoir soit donnée par écrit (Cass. soc. 23-9-2009 n° 07-44.200 : RJS 12/09 n° 898 ; Cass. soc. 19-1-2005 n° 123 : RJS 3/05 n° 255).

3° Dans le second arrêt ci-dessus, la Cour de cassation juge aussi que, à supposer établi le défaut de pouvoir du délégataire, le licenciement n’en serait pas nul pour autant. Faisant application de la règle selon laquelle le mandant est engagé par les dépassements de pouvoir du mandataire qu’il a ratifiés expressément ou tacitement (C. civ. art. 1998), la Cour déclare valable le licenciement en raison de la volonté claire et non équivoque de la SAS de ratifier la procédure de licenciement compte tenu des éléments suivants : reprise des conclusions aux termes desquelles la société soutenait la validité du licenciement ; demande de rejet des prétentions du salarié licencié.

Auteur : Editions Francis Lefebvre

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