CA Paris 14 décembre 2010 n° 10-11125, ch. 8-5, Namur c/ SA Continental Investments and Management

L'expert chargé de fixer le prix de droits sociaux en application de l'article 1843-4 du Code civil commet une erreur grossière invalidant son rapport s'il respecte une consigne d'évaluation indûment donnée par le juge et qui est inadaptée.

Un pacte conclu entre les actionnaires d'une société anonyme prévoyait que l'actionnaire minoritaire – par ailleurs président de la société – pourrait exiger de l'actionnaire majoritaire qu'il rachète ses actions s'il était révoqué. Après sa révocation, le minoritaire avait mis en œuvre cette clause de sortie mais, faute d'accord entre les intéressés sur le prix du rachat, le président du tribunal de commerce avait désigné un expert, en application de l'article 1843-4 du Code civil, le chargeant d'évaluer les actions. Le magistrat avait précisé que l'expert devait évaluer la société à la « date de la clôture du dernier bilan enregistré au greffe du tribunal lors de la révocation du dirigeant ». Dans son rapport, l'expert avait indiqué avoir suivi cette consigne même si elle le conduisait à évaluer les titres à une date antérieure de deux ans à celle de la révocation.

La cour d'appel de Paris a jugé qu'en suivant la directive du président du tribunal, qui avait manifestement commis un excès de pouvoir, l'expert avait méconnu les pouvoirs qu'il tient de l'article 1843-4 et commis une erreur grossière. La cour a en conséquence annulé le rapport d'expertise et renvoyé les parties à désigner un nouvel expert. à noter

L'expertise prévue par l'article 1843-4 du Code civil, texte d'ordre public, s'applique, on le rappelle, aux rachats ou cessions forcées de droits sociaux prévus par la loi, par les statuts (Cass. com. 4-12-2007 n° 06-13.912 : BRDA 1/08 inf. 2) ou encore par les pactes extra-statutaires (Cass. com. 24-11-2009 n° 08-21.369 : BRDA 5/10 inf. 25).

Aux termes d'une jurisprudence constante, l'évaluation faite par l'expert s'impose aux parties sauf si celui-ci a commis une erreur grossière. L'existence d'une telle erreur est en pratique rarement retenue par les tribunaux.

Dans cette affaire, il y avait une double erreur qui justifiait l'annulation du rapport d'expertise. En premier lieu, celle du président du tribunal dont le rôle, au titre de l'article 1843-4, se limite à la désignation ou au remplacement de l'expert (CA Paris 23-11-2005 n° 05-7615 : BRDA 5/06 inf. 5 ; CA Paris 30-1-2009 n° 08-13762 : RJDA 5/09 n° 440). Il ne peut donc pas, sauf à commettre un excès de pouvoir, encadrer la mission de ce dernier, en fixant par exemple les critères d'évaluation devant être appliqués ou, au contraire, écartés (Cass. com. 16-2-2010 n° 09-11.668 : BRDA 6/10 inf. 6 ; CA Paris 23-11-2005 précité). En second lieu, l'erreur de l'expert qui a suivi la consigne litigieuse alors qu'il n'est pas tenu de respecter les méthodes d'évaluation préconisées par les parties, par les statuts ou encore par le juge qui l'a désigné. L'expert de l'article 1843-4 a en effet toute latitude pour déterminer la valeur des droits sociaux selon les critères qu'il juge opportuns (Cass. com. 19-4-2005 n° 0311.790 : BRDA 10/05 inf. 1 ; Cass. com. 5-5-2009 n° 08-17.465 : RJDA 8-9/09 n° 751). Cela ne signifie pas que l'expert doit systématiquement écarter les consignes indûment données par le juge mais qu'il doit le faire s'il les estime, comme en l'espèce, inadaptées.

Auteur : Editions Francis Lefebvre

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