CA Montpellier 14 décembre 2010 n° 09-6383, 2e ch. SA Sita Sud c/ SA Ourry

Une société mère ne peut engager sa filiale à l'égard des tiers qu'en l'absence totale d'autonomie de celle-ci.

Un groupe de sociétés spécialisées dans le traitement des déchets avait sollicité une autorisation administrative d'extension d'une décharge. La société mère du groupe avait indiqué par lettre à un intermédiaire le montant de la rémunération qu'il percevrait pour « apport du dossier » en cas d'obtention de l'autorisation. La lettre précisait en outre : « dans notre organisation actuelle, c'est notre filiale X qui est chargée du dossier et sollicite, en son nom, l'extension de l'exploitation. C'est donc elle qui exécuterait les engagements financiers mentionnés ci-dessus ». L'autorisation ayant été obtenue, l'intermédiaire avait demandé à la filiale le paiement de sa rémunération.

La cour d'appel de Montpellier a rejeté cette demande car une société mère ne peut engager sa filiale à l'égard des tiers que s'il est démontré une absence totale d'autonomie de celle-ci. Elle a jugé que tel n'était pas le cas en l'espèce pour les raisons suivantes :

  • le fait que la société mère ait été administrateur de la filiale et que son président-directeur général ait présidé le conseil d'administration de la filiale ne suffisait pas à démontrer que la société mère avait le pouvoir de représenter et d'engager sa filiale ;
  • le courrier ci-dessus, rédigé par le président-directeur général de la société mère révélait que des pourparlers avaient eu lieu avec l'intermédiaire sur une éventuelle rémunération pour apport du dossier mais cette société ne s'engageait pas au nom et pour le compte de sa filiale ;
  • la filiale n'avait pas été contactée par l'intermédiaire et n'avait pas participé aux pourparlers. Elle n'avait créé aucune apparence laissant croire à ce dernier qu'elle n'était pas autonome et l'emploi dans le courrier litigieux du conditionnel (exécuterait) et de l'adverbe éventuellement (« nous pourrons éventuellement envisager de forfaiter cette redevance ») auraient dû inciter l'intermédiaire à traiter directement avec la filiale, afin d'obtenir son accord sur le versement d'une rémunération et ses modalités, ce qu'il n'avait pas fait.

à noter

Cette décision a été rendue sur renvoi de la Cour de cassation. La décision du premier juge d'appel avait été censurée pour avoir condamné la filiale à payer sans rechercher si la société mère avait le pouvoir de la représenter et de l'engager (Cass. com. 15-9-2009 no 08-16.551 : RTD com 2009 p. 756 obs. C. Champaud et D. Danet ). La solution est fondée sur l'article 1165 du Code civil selon lequel les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et sur le principe d'autonomie des personnes morales. Chaque société est dotée d'un représentant légal habilité à la représenter à l'égard des tiers. Le seul fait qu'une société détienne le contrôle d'une autre ne lui permet pas de représenter et d'engager celle-ci. Pour les mêmes raisons, une société mère ne peut pas être condamnée à exécuter les engagements contractuels de sa filiale du seul fait qu'elle en détient le contrôle (Cass. com. 26-4-1994 no 982 : RJDA 8-9/94 no 930 ; Cass. com. 2-12-1997 no 95-17.624 : RJDA 4/98 no 438 ).

Il en va autrement si le tiers a légitimement pu croire que les deux sociétés n'en formaient qu'une ou si l'une des deux sociétés a eu un comportement fautif lui laissant croire qu'elle prenait part à l'engagement de l'autre (Cass. com. 5-2-1991 no 89-12.232 : RJDA 4/91 no 303 ).

L'intangibilité du principe d'autonomie de la personne morale aboutit à des solutions qui peuvent parfois paraître sévères. Ainsi, au cas d'espèce, la société mère du groupe était en relation d'affaires depuis de nombreuses années avec l'intermédiaire et la filiale avait en tout état de cause profité de l'extension d'exploitation.

Auteur : Editions Francis Lefebvre

Pour accéder au site des Editions Francis Lefebvre, cliquez ici